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Billet de blog 16 avril 2022

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Après "le poil de fesse", la Gauche le cul entre deux chaises

Après une élimination d'une courte tête, la Gauche doit faire face à la même situation que celle de 2017 : reconnaître la domination de la ligne "Mélenchon" ou continuer à tracer son chemin, chacun de son côté, au risque de ne pas enrayer un cycle de défaites.

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C'est une chose qui n'est encore pas assez reconnue : Jean-Luc Mélenchon a sauvé la Gauche française. Il est tout à fait possible de tenter de nier cette évidence mais ses réussites électorales aux trois présidentielles auxquelles il a concouru démontrent le poids central qu'a pris sa ligne politique. La gauche d'inspiration keynésienne, désirant un Etat protecteur et redistributif, est revenue dans une position dominante. 

Le quinquennat Hollande - qui a étrillé la Gauche - apparaît désormais assez loin. L'affligeant mandat d'Emmanuel Macron a remplacé dans les cœurs la détestation profonde qu'incarnait le natif de Rouen, sans pour autant la faire disparaître complètement. Désormais, la Gauche c'est de nouveau l'augmentation du SMIC, la retraite à 60 ans, l'imposition des grandes fortunes, la limitation du Capital au profit du Travail. 

Le chemin a pourtant été long pour en arriver là. Maigre rappel en perspective. 

En 2017, après un quinquennat honteux durant lequel le Parti Socialiste a mené une politique de droite en oubliant les idéaux de gauche - ce que certains comme François Hollande avaient déjà fait depuis les années 80 - la (vraie) gauche s'est réveillée. Après avoir mobilisé une bonne partie de la jeunesse en 2012 avec le Front de Gauche, Mélenchon arrivait en quatrième position avec 19,58% des voix. Score qui semblait tout à fait inespéré en 2012. Le Parti Socialiste arrivait lui bien plus bas avec ses fameux 6,36% subis par un Benoît Hamon pourtant sympathique. Pour beaucoup, le PS était mort, fini, enterré, décomposé. 

Les législatives suivantes raisonèrent pourtant comme une incompréhension : la France Insoumise ne recolta que 17 députés de même que le Parti Communiste Français. Le PS comptait quant à lui plus de députés (31). 

C'est à se moment précis que débuta un quinquennat détruisant ce qui avait été construit durant la présidentielle. En effet, LFI ne réussit pas à prendre une place dominante sur la Gauche, les élections intermédiaires consacrèrent EELV (aux européennes ainsi qu'aux municipales) et le Parti Socialiste (aux régionales). 

De manière erronée, ces deux partis prirent ces résultats comme un signe fort : la domination sur la Gauche était encore ouverte.

C'est donc sûr de lui que Yannick Jadot s'élança en direction de la présidentielle se drappant d'une posture d'homme fort, un candidat faisant preuve de "fermeté" quant à l'insécurité, pragmatique face au réchauffement climatique. Cette position l'emmena jusqu'à une manifestation de syndicats policiers indiquant que "le problème de la Police, c'est la Justice !" Par la suite, Jadot l'emportera d'une courte tête face à Sandrine Rousseau, avant de mener une campagne médiocre qui n'imposa pas les thèmes écologiques et se focalisa sur l'international avec une critique véhémente des positions de Jean-Luc Mélenchon. Cette véhémence ne fit que s'accroître à mesure que l'insoumis grimpait dans les sondages, superbe stratégie pour décourager ses électeurs de rejoindre le pôle majoritaire. Résultat : 4,63%.

C'est un peu moins sûre d'elle qu'Anne Hidalgo se dirigea vers sa première campagne présidentielle. Le PS - fort de sa position aux régionales - s'avança sur la ligne de départ moins dans l'idée de l'emporter que dans celle de préparer 2027 pour "relancer" le Parti Socialiste. Dès le début de campagne, l'édile ne retint pas ses coups «ambuiguïtés» de ses concurrents sur la République. Tout cela s'est achevé sur des attaques incessantes sur le thème de l'international (comme son collègue écologiste). Hidalgo se mentit et mentit à tout le monde : le PS aurait été la seule force de gauche capable de gouverner le pays, la seule gauche de gouvernement. Résultat : 1,74%. 

Fabien Roussel fut également candidat. Il serait mesquin de réduire le PCF à sa position sur la viande mais c'est cela que le nordiste a martelé, "le bon manger" bien plus que le reste des positions du PCF (assez proches de celles de l'Union Populaire). Résultat : 2.28%. 

Le poids de ces partis est sûrement légèrement supérieur, le vote utile étant passé par là. Néanmoins, une chose est évidente : les partis de gauche ont passé cinq ans à nier le rapport de force et la position dominante qu'a pris à gauche la ligne incarnée par Jean-Luc Mélenchon. Cinq ans de perdus. Plutôt que de prendre en compte les résultats de 2017, ils ont fait un pari : faire monter leurs candidatures pour peut-être l'emporter en 2027.

Ne nous y trompons pas : ces trois candidats avaient abandonné toute possibilité de victoire. Ils ont concouru de manière cynique à cette élection présidentielle, tapant plus sur leur propre camp que sur Marine Le Pen et Emmanuel Macron - deux finalistes honnis de la majorité de la population. Le pari de ces candidats a échoué. Désormais, ils doivent quémander soit des dons (comme l'a fait Yannick Jadot, sans gêne, dans son discours de défaite) ou un ralliement en vue de sauver les places aux législatives comme le fait Fabien Roussel. 

À cause de ces candidatures, de leurs positions méprisantes et de la défaite du 10 avril, nombreux sont ceux qui ont développé une colère extrêmement forte vis-à-vis de ces politiques. Considérable est le nombre de personnes vouant une haine forte à leur encontre (en témoignent les vandalisations désastreuses de certaines permanences PCF et EELV). Leur volonté de se maintenir coûte que coûte, répétant le scénario de 2017, a empêché Jean-Luc Mélenchon d'accéder au second tour de l'élection présidentielle. Certains partisans de ces candidats déchus vous diront que "de toute façon, on n'avait aucune chance d'accéder au Second Tour". Ou alors que "Mélenchon est trop clivant, il aurait largement perdu face à Macron". Nous ne pourrons jamais vérifier la réalité de ces assertions. 

La Primaire Populaire et les médias dominants ont longtemps véhiculé cette idée que tout était perdu d'avance. Mélenchon a échoué seul à 21,95% à 400 000 voix du deuxième tour, "un poil de fesse" diront certains.

La tâche qu'il faut accomplir maintenant donne en partie raison à la Primaire Populaire. En partie seulement car le but n'est pas de choisir le candidat le plus consensuel mais bien de reconstituer un bloc de Gauche à vocation majoritaire. C'est pour cela que j'ai utilisé l'expression familière de "cul entre deux chaises".

En effet, deux options (deux chaises en l'occurrence) s'offrent à nous. 

Tout d'abord, la Gauche peut décider de rester fragmentée. Elle pourra alors rejouer avec délice le quinquennat achevé en se faisant concurrence pour les législatives et en s'éparpillant au fil des élections intermédiaires. Chacun essaiera de se placer en "leader de la Gauche" comme l'a beaucoup essayé Jadot durant la période achevée. Nous arriverons donc une nouvelle fois divisés en 2027 et les candidats essaieront de se positionner pour "peut-être gagner en 2032". En faisant cela, le cycle infernal se poursuivra. À ceci près que pour la deuxième fois, le camp Mélenchon est passé tout près du second tour et que les électeurs ne voudront sûrement pas, une troisième fois, reproduire cet échec. Les médias dominants seraient quant à eux bien heureux de rejouer une nouvelle fois cette "bataille des égos" qu'ils aiment tant.

Ensuite et surtout, la Gauche peut décider de s'unir, de se ranger derrière la force majoritaire à savoir l'Union Populaire. Bien sûr, les partis déchus devront accepter d'être ceux qui se rallient et non le rassembleur. Cela veut dire qu'ils devront accepter de renier une partie de leur amour propre et d'accepter d'avoir une situation moins enviable que le mouvement des 21,95%. En toute hypothèse, il est impossible qu'EELV, par exemple, en se ralliant ait la majorité des sièges ou la majorité des circonscriptions gagnables. Il faudra également éviter de demander l'Union tout en refusant de donner de réelles chances de représentation aux partis qui ont causé la défaite - ce qui serait inespéré pour ces partis. 

Le premier jalon a été posé avec la lettre adressée par l'Union Populaire à Europe Écologie Les Verts, au Parti Communiste ainsi qu'au Nouveau Parti Anticapitaliste. La lettre offrant la possibilité d'un ralliement se fait aussi en demandant un mea-culpa quant aux positions tenues durant la campagne (à destination des verts et des communistes). Cela est plus que compréhensible. Comment expliquer, qu'un mouvement soit disant dangereux, presque pro-russe soit rejoint par des partis se voulant angéliques sur le plan international ? Il faudra bien faire quelques pas. 

Le but ne saurait être de ployer le genou devant Mélenchon, «le dieu parmi les dieux» mais bien plus de reconnaître les positions de façade tenues pour éviter de se retirer en faveur de Mélenchon. 

Les négociations vont s'ouvrir. Oui, l'Union Populaire demande la majorité des places et comment cela pourrait lui être reproché au vu du rapport de force actuel. C'est à ces partis de jouer le jeu et d'accepter de faire des concessions car la Gauche ne peut plus attendre. C'est dès à présent qu'il faut préparer la victoire de 2027 en arrêtant de nous battre les uns contre les autres. Si les dirigeants de partis peuvent être en grand désaccord et se détester ce n'est pas le cas de tous les citoyens de gauche qui pour la majorité s'entendent sur tout ou presque ! 

N'attendons pas que le PS tente de se reconstruire en nous faisant une Hidalgo 2.0 avec Carole Delga dans le rôle de la division de la Gauche. Cette dernière a déjà commencé à le faire en parlant de "communautarisme", de son parti, le seul à vouloir travailler avec "les entreprises". D'autres cadres comme M.Kanner sont dans le déni et estiment que le parti à la rose pèse plus que ces 1,7%.

L'élection présidentielle et la recomposition entamée en 2017 montre l'existence de trois pôles : un pôle de Gauche, un pôle néolibéral et un pôle d'extrême droite (lui aussi néolibéral). La responsabilité de la Gauche est d'unir ce pôle afin de créer un bloc suffisamment fort pour tenter un coup aux législatives - ce sera dur - et imposer nos idées durant le quinquennat qui arrive, celui-ci promettant d'être rude pour notre modèle social et nos services publics. 

Arrêtons nos bêtises, le moment est grave. À gauche toute ! Choisissons la chaise de gauche, elle fera moins mal aux fesses.

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