Le principe de l'écotaxe serait, nous dit-on, d'encourager le passage de modes de transports écologiquement contestables (route) à des modes de transport écologiquement préférables (rail ou eau), en pénalisant les premiers.
C'est au nom de ce principe que l'écotaxe a été il y a quelques années, approuvée par tous les groupes du Parlement. Et que des élus écologistes se font entendre ces jours-ci pour justifier le maintien de cette taxation et regretter sa suspension.
Les deux demi-cartes ci-dessus1 nous invitent à sortir de ce simplisme trompeur.
Sur la carte de gauche, on voit apparaître les routes sur lesquelles le trafic des poids lourds serait soumis à l'écotaxe. En rouge, celles du réseau national, en jaune celles des réseaux locaux (en gros, des départementales).
Sur la carte de droite, on voit apparaître les grandes routes non soumises à l'écotaxe. Les nuances de couleur concernent ici les compagnies concessionnaires et sont sans intérêt pour cet article, sinon pour souligner qu'il s'agit de routes à péage. En effet, la loi écarte les itinéraires déjà payants de la perception de l'écotaxe.
Le rapprochement des deux cartes permet de comprendre l'accueil houleux fait en Bretagne à la nouvelle taxe. Pour l'essentiel, le réseau routier breton principal entre en effet dans le champ de la nouvelle taxe, de même que les grandes transversales non autoroutières qui les prolongent à l'extérieur vers le nord et le sud.
L'exemple breton permet aussi de percevoir les limites des possibilités réelles de passage à un mode de transport plus écologique. Pour faire les 474 km qui séparent Saint-Pol-de-Léon de Poitiers, un poids lourd roulant à 80 km/h mettra près de 6 heures2. Il devrait acquitter, sans l'abattement consenti à la Bretagne, une écotaxe de 0,13 centime par kilomètre soit 62 €, et un retour à vide, fréquent pour les légumiers, doublerait le chiffre sans revenu supplémentaire. En appliquant l'abattement de 50 % consenti sur les routes bretonnes, l'écotaxe simple se monterait à (0,065 € x 270) + (0,13 €x 204) = 44 €, doublé sans revenu en cas de retour à vide. On est loin d'impositions symboliques.
Dans le premier cas, le montant de l'écotaxe équivaut à celui d'un péage autoroutier poids lourds sur le trajet Rennes -Tours, ou à peu pres au salaire net payé au routier pour le temps passé. Dans le second cas à un péage autoroutier poids lourds de Paris à la frontière belge.
Mais surtout, quelle est la possibilité pour le producteur breton de faire livrer en temps utile en train - ou par canaux et rivières ! - sa commande à Poitiers, avec deux ruptures de charge ? C'est simple : cette possibilité est tout simplement nulle. Et ce qui vaut spectaculairement pour les légumiers du Léon vaut bien sûr pour le transport de poisson frais et - à un degré généralement un peu moindre - pour n'importe quelle marchandise.
La possible transfert à l'acheteur du poids de l'écotaxe risque fort par ailleurs de rester largement théorique, s'agissant souvent de produits de grande consommation en situation de concurrence aiguë, où les marges se jouent sur quelques centimes.
Le principe fondateur de l'écotaxe - en soiintéressant - se trouve ainsi, en France, mis en échec d'entrée de jeu. Les régions qui la paieront le plus fortement ne sont pas celles qui peuvent espérer pour demain sur leur territoire des investissements significatifs en termes de transports ferroviaires (cofinancés pourtant par plusieurs d'entre elles comme la Bretagne !) .
La carte confirme amplement que les zones exonérées de fait de l'écotaxe sont celles où les transports ferroviaires ont, par leur convergence, la plus forte densité territoriale et les meilleures fréquences. Citrouille sur le gâteau, l'Île-de-France n'aura donc qu'une participation symbolique au regard de la densité de ses réseaux (y compris routier).
On constate donc que la centralisation des transports, aggravée par le découpage des régions autour des routes de Paris, non seulement concentre sur les axes Paris-Province les moyens rapides de communication, organise du même coup le transfert vers la route du transport inter-régional des marchandises, rend inopérante une écotaxe à visée correctrice, mais la met de surcroît principalement à la charge des entreprises et des régions qui pâtissent le plus du système et seront les moins bénéficiaires de l'écotaxe !!
Faut-il continuer la présentation ? Hélas oui, sans doute.
Car, si les textes sur les contributeurs sont précis, il faut grosso modo se contenter d'intentions en ce qui concerne les programmes d'infrastructures de transport auxquels seront affectés les produits de l'écotaxe. Pour sa part prélevée lors du trafic sur le réseau national (de loin la plus importante), le produit de l'écotaxe sera versé à "l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF)", le reste aux collectivités en charge de l'entretien des réseaux correspondants. (Voir Questions/Réponses sur le site du ministère).
Les termes généraux qui définissent les missions de l'AFITF ne permettent en aucune façon d'assurer aux fonds collectés une destination conforme au principe affiché comme base de l'écotaxe. Les produits de l'écotaxe pourraient ainsi parfaitement, sans contrevenir aux textes votés, servir à financer les infrastructures de transport ...du Grand Paris ! Autant dire à financer l'aggravation de la centralisation des transports français et la concentration des emplois, de la population et des richesses dans la région parisienne. L'exonération des actuelles autoroutes à péage - et par conséquent le taux de l'écotaxe - s'en trouvent d'ailleurs de ce fait privés de justification : les usagers des autoroutes paient pour l'entretien des l'autoroutes...
Nos élus locaux trouveront-ils, dans l'affectation de miettes de l'écotaxe aux collectivités en charge de l'entretien des réseaux routiers locaux, une raison de soutenir le système proposé ? On peut hélas le craindre.
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(1) - Celle de gauche extraite d'une illustration du site du Ministère du développement durable, celle de droite du site wiki.sara.
(2) - Moyenne optimiste, surtout dans la dernière moitié du trajet.