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Billet de blog 4 septembre 2025

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L'Évangile de la révolution

Vient d'arriver dans les salles de projection un film documentaire assez exceptionnel : « L’Évangile de la révolution » de François-Xavier Drouet, dédié aux chrétiens latino-américains engagés dans des luttes d'émancipation. 

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L'Évangile de la révolution

Un film documentaire de François-Xavier Drouet   

Vient d'arriver dans les salles de projection un film documentaire assez exceptionnel : "L’Évangile de la révolution" de François-Xavier Drouet, dédié aux chrétiens latino-américains engagés dans des luttes d'émancipation. 

      Comme le reconnait le cinéaste, "l’Église a légitimé le génocide indien, l’esclavage, la colonisation, les structures d’un ordre social inique encore visible aujourd’hui." J'ajouterais que beaucoup de ses représentants sont encore des défenseurs farouches de cet ordre social et notamment des adversaires acharnés du droit des femmes à disposer de leur corps (divorce, contraception, avortement).

        Mais il est indéniable qu'un grand nombre de chrétiens, et des membres du clergé, ont jeté leur sort avec le camp des opprimés, et ont activement participé à des luttes de libération, et même, parfois, à des mouvements révolutionnaires.  La théologie de la libération n'est que la pointe visible d'un iceberg, un vaste mouvement socioreligieux, qu'on pourrait désigner comme "christianisme de la libération", qui a changé l'histoire de l'Amérique latine.  C'est à ce mouvement que Drouet a dédié son documentaire. 

        Le film montre l'engagement des chrétiens dans quatre pays : le Brésil, le Mexique, le Salvador et le Nicaragua.   Le récit est conduit par la voixoff du cinéaste.    "Mon regard", explique-t-il dans un entretien, "est celui d'un agnostique, croyant repenti, qui revisite l’histoire politique du continent à travers l’engagement de ses anciens coreligionnaires. Il est empreint de ce qu’Enzo Traverso appelle la mélancolie de gauche. Une attention portée à la mémoire des vaincus, non pas par nostalgie ou résignation, mais comme un chemin vers les espérances du passé inachevées, en attente d’être réactivées."

            Le Brésil s’imposait car les chrétiens ont eu une influence déterminante sur la chute de la dictature.  La Pastorale de la Terre est à l’origine du Mouvement des sans-terre, la plus grande organisation sociale d’Amérique latine. Et les chrétiens de la libération sont une des principales composantes du Parti des travailleurs de Lula. Au Mexique, Mgr. Samuel Ruiz a promu l'auto-organisation des indigènes, et ce travail de base a préparé le terrain pour le soulèvement zapatiste.

En outre, comme le rappelle François-Xavier Drouet, "en Amérique centrale ou en Colombie, la participation des catholiques aux mouvements de guérilla a été massive. Plusieurs prêtres sont morts les armes à la main. Le film devait éclairer ce choix de la lutte armée, alors que le chrétien est supposé refuser la violence. J’ai choisi d’incarner cette question à travers l’histoire du Salvador, où la mémoire de la guerre civile est encore à vif. Enfin, la révolution au Nicaragua de 1979 a marqué l’apogée du mouvement, quatre ministres du premier gouvernement sandiniste étaient prêtres ! J’y raconte à la fois l’espoir énorme qu’a suscité cet événement chez les chrétiens, mais aussi la désillusion, quand les révolutionnaires d’hier sont devenus les tyrans d’aujourd’hui. "

Le mot d'ordre des sandinistes "entre révolution et christianisme il n'y a pas de contradiction" traduit bien l'esprit de ces années 1970 et 80 en Amérique latine. 

       Pour son travail, le cinéaste a utilisé toute sorte de matériaux : des images d'archives, des films de propagande des guérillas, des témoignages, des entretiens avec des acteurs socioreligieux, des célébrations musicales, des peintures murales.  

Parmi les figures interviewées,  on trouve Frei Betto,  le brillant écrivain et théologien dominicain emprisonné pendant plusieurs années pour son soutien à la résistance armée à la dictature au Brésil ; Leonardo Boff,  un des fondateurs brésiliens de la théologie de la libération,  condamné au silence par le Vatican en 1985 ; Júlio Lancellotti,  un prêtre brésilien qui organise les luttes de sans logis,  devenu la bête noire de l'extrême droite ; Roger Ponseele,  un prêtre belge qui passera 12 années dans la clandestinité,  dans les rangs de la guérilla du Front Farabundo Marti de Libération Nationale à El Salvador ; Joel Padrón González, un prêtre mexicain engagé avec les luttes indigènes,  qui sera accusé, lors du soulèvement zapatiste de 1994, d’être le sous-commandant Marcos;  et María López Vigil,  une théologienne et journaliste cubaine qui fait partie de ces milliers de chrétiens qui ont rejoint le Nicaragua pour participer à la révolution de 1979. Une citation de Frei Betto résume leur état d'esprit : « Nous tous, chrétiens, sommes les disciples d’un prisonnier politique. »

            Un des épisodes marquants du film est la visite de Jean Paul II au Nicaragua sandiniste en 1983 : il sera hué par la foule lors de son discours hostile aux chrétiens qui participent au gouvernement révolutionnaire et sera obligé d'écourter son séjour…

        Ce vaste mouvement socioreligieux d'émancipation était aussi, raconte le cinéaste, une véritable révolution culturelle qui a embrassé la musique, la peinture, la littérature… Le film réussit, avec une grande force sensible et émotionnelle, à traduire en images les multiples facettes de cette aventure, qui a façonné l'histoire de l'Amérique latine au cours du XXᵉ siècle, et qui n'a pas encore dit son dernier mot.  

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