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Billet de blog 9 septembre 2022

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Le Père Ubu est de retour !

Le Père Ubu est de retour, accompagné de la Mère Ubu, de ses Palotins, de ses Maîtres de l’Ordre de la Gidouille, Nous sommes en 2022, bien d’années après sa première apparition (1896), mais il est bel et bien à nouveau parmi nous, en France, en Europe et un peu partout dans le monde : Trump, Poutine, Bolsonaro, Erdogan, etc, etc.

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LE PÈRE UBU EST DE RETOUR !

(Et la Mère Ubu aussi)

Merdre ! Le Père Ubu est de retour, accompagné de la Mère Ubu, de ses Palotins, de ses Maîtres de l’Ordre de la Gidouille, de ses chargés de la Pompe à Phynance, tous bien décidés à nous décerveler, avant de nous faire passer à la trappe. Nous sommes en 2022, bien d’années après sa première apparition (1896), mais il est bel et bien à nouveau parmi nous, en France, en Europe et un peu partout dans le monde.

Sommes nous arrivés, comme le suggère l’écrivaine Leslie Kaplan, au « stade ultime, le stade grotesque du capitalisme » ?   Ces Ubus du 21ème siècle, qu’ils s’appellent Trump, Poutine, Bolsonaro, Erdogan, Modi, Salvini, Orban ou Bougrelas, ont essaimé comme autant de champignons empoisonnés après une pluie acide. D’autres, comme la Mère Ubu-Marine, et ses équivalents en Allemagne, Portugal, Espagne, Italie, Grèce, et ailleurs, ne sont pas encore au pouvoir, mais rêvent d’y accéder bientôt. Leurs gesticulations ont cette dimension ridicule, grotesque, clownesque, farcesque, mais en même temps meurtrière, de leur illustre ancêtre inventé par Alfred Jarry.   A ces personnages on peut ajouter les Ubus en uniforme qui dominent la Birmanie et le Soudan, les Ubus en robe cléricale, qui regentent l’Iran et l’Arabie Saoudite, et les rois-Ubus qui règnent sur la Thailande et les Emirats Arabes Unifiés. On pourrait allonger la liste, qui comporte un bestiaire aussi varié que monstrueux.

En Europe, les références explicites ou implicites, visibles ou discrètement cachées, avouées ou inavouables, de ces personnages à la gidouille trop gonflée, sont les régimes ubuesques des années 1920 -45 : Antonio de Oliveira Salazar, Benito Mussolini, Francisco Franco, Maréchal Pétain, Adolf Hitler.    Ce sont des nostalgiques du fascisme, même si, à leur grand regret, il n’ont pas les mêmes moyens que leurs meurtriers ancêtres.

Les Pères Ubus de notre époque relèvent, dans la plupart des cas, de ce qu’on pourrait nommer un néo-fascisme.   Le neo-fascisme partage avec le fascisme classique plusieurs aspects importants : autoritarisme, limitation et/ou suppression des libertés démocratiques, culte du chef, nationalisme réactionnaire, xenophobie, racisme, persécution de boucs expiatoires (musulmans, juifs, tsiganes, immigrés, etc). Mais le neo-fascisme n’est pas la répétition du fascisme des années 1930 : pas de troupes de choc, pas (encore) d’Etat totalitaire, pas de génocide des « corps étrangers ». Et surtout, pas de politique économique corporatiste : le néo-fascisme est plutôt favorable au capitalisme néo-libéral, dans une version « nationale ».

Les surréalistes ont toujours combattu activement le fascisme : une photo du 12 février 1934 montre André Breton et Paul Eluard aux premiers rangs de la manifestation du Comité de Vigilance des intellectuels antifascistes.   Yves Tanguy aussi était présent et a été blessé dans une confrontation avec les ligueux.   En 1936 les surréalistes dénoncent, dans un tract intitulé «  Neutralité ? Non-sens, crime et trahison ! », la politique « neutre » de la France dans la guerre civile en Espagne ; le tract prévoit, avec une intuition visionnaire, que la réalisation du   « plan fasciste d’hegémonie mondiale » a d’ores et déjà commencé . (Nadeau, p. 349)   Au même moment, Benjamin Péret partait pour Barcelone et s’engageait, pour combattre le fascisme les armes à la main, dans la Colonne Durruti. Quelques années plus tard, sous l’occupation nazie, des surréalistes participent à la Résistance avec la publication de La main à plume.

Tout a opposé le mouvement surréaliste, partisan du sabotage du travail salarié, et convaincu que « tous les moyens sont bons pour ruiner les idées de famille, de patrie, de religion » (Breton, Deuxième Manifeste) au fascisme,  dont la devise, sous le règne du Maréchal Ubu, était, comme on le sait, « Travail, Famille, Patrie ».   Si les surréalistes sont, comme l’affirmait Walter Benjamin, les héritiers de l’idée radicale de liberté proclamée par Bakounine, ils ne pouvaient que s’opposer, par la plume ou   par le fusil, contre le fascisme, ce sinistre règne de la non-liberté, où les muselières ne sont pas faites pour les chiens.

Aujourd’hui, le nationalisme, le racisme, le fanatisme religieux - ces trois mamelles du neo-fascisme contemporain - s’étendent dans la planète comme une épidémie mortifère, avec le soutien, ou la complicité, des Pompes Phynancières du Capital et des Machines à Décerveller médiatiques.   Face à cette vague brune, nauséabonde et insidieuse, notre consigne est, encore et toujours : No Pasaran ! Les Pères-Ubus et leurs Palotins à la Trappe !

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