[4] Chico Mendes, Sindicato dos Trabalhadores de Xapuri, Central Unica dos Trabalhadores, S.Paulo, Janeiro de 1989, p.34.
Billet de blog 18 novembre 2010
Ecologie et luttes sociales au Brésil
ECOLOGIE ET LUTTES SOCIALES AU BRESILDe Chico Mendes à aujourd’huiMichael LöwyDans Commune. La Revue, Le Temps des cerises, n° 57, mars 2010Germinal, an 218 L’écologie serait-elle un « luxe » pour pays développés, une question qui ne concerne que la population aisée du monde industrialisée ? Un minimum d’attention à ce qui se passe au Brésil suffirait pour tordre le cou à ce lieu commun de la pensée conforme. On assiste bel et bien, parmi les paysans, les communautés indigènes, les populations urbaines c’est au cours des années 1960 qu’il découvre le marxisme, grâce à un vétéran communiste, Euclides Fernandes Tavora ; lieutenant partisan de Luis Carlos Prestes, Tavora a participé au soulèvement « rouge » de 1935, ce qui lui a coûté des années de prison et, plus tard, d’exil en Bolivie ; revenu clandestinement au Brésil il s’était établi dans la forêt amazonienne, à la frontière de l’Etat brésilien de l’Acre avec la Bolivie. Cet aprentissage marxiste a eu une influence décisive dans la formation des idées politiques de Chico Mendes : selon ses propres mots, la rencontre avec Tavora « a été une très grande aide et une des raisons pour lesquelles je suis dans cette lutte. D’autres camarades, malheureusement, n’ont pas eu, à cette époque, le privilège de recevoir une orientation aussi importante pour leur avenir comme celle que j’ai eu. » [1] Chico Mendes travaille comme seringueiro, ces paysans qui récoltent, artisanalement, le latex de l’arbre à caoutchouc amazonien. En 1975 il fonde, avec le syndicaliste Wilson Pinheiro, le syndicat des travailleurs ruraux de Basiléia et, deux ans après, le syndicat des travailleurs ruraux de Xapuri, sa ville natale. C’est à cette époque qu’il va inaugurer, avec ses camarades du syndicat, une forme de lutte non-violente inédite dans le monde : les célèbres « blocages » (empates : le mot brésilien signifie littéralement « jeu à égalité »). Ce sont des centaines de seringueiros, avec leurs femmes et leur enfants, qui se donnent les mains et affrontent, sans armes, les bulldozers des grandes entreprises intéressées à la déforestation. Parfois les travailleurs étaient vaincus, mais souvent ils réussirent à arrêter, avec leurs mains nues, les tracteurs, bulldozers et scies électriques des destructeurs de la forêt, gagnant parfois l’adhésion des employés chargés de mettre à bas les arbres. Les ennemis des seringueiros sont les latifondistes, l’agro-négoce, les entreprises de l’industrie du bois, qui veulent commercialiser les essences les plus chères, ou les éléveurs, qui veulent planter de l’herbe à la place des arbres abattus, pour éléver du bétail destiné à l’exportation (Mac Donald !). Un ennemi puissant, qui compte avec son bras politique, l’UDR (« Union Démocratique Ruraliste »), son bras armé, les pistoleiros (hommes de main, mercenaires), et des innombrables complicités dans la Police, la Justice et les gouvernements (locaux, provinciaux et fédéral). Au cours de ces premières années de son activité syndicale, Chico Mendes, socialiste convaincu, militait dans les rangs du Parti Communiste du Brésil, une scission maoïste du PCB pro-soviétique. Deçu par ce parti, il va adhérer en 1979-80 au nouveau Parti des Travailleurs, fondé par Lula et ses camarades, au sein duquel il se ralliera à l’aile gauche, socialiste. En 1985 il organise, avec ses camarades syndicalistes, la Rencontre Nationale des Seringueiros, qui va fonder le Conseil National des Seringueiros ; sa lutte reçoit le soutien du PT, de la Pastorale de la Terre, de la CUT (Centrale Syndicale) et du MST (Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre) qui était justement en train de se constituer à cette époque.Bientôt le combat des seringueiros et autres travailleurs qui vivent de l’extraction (châtaigne, jute, noix de babaçu) pour défendre la forêt va converger avec d’autres groupes de paysans et surtout avec les communautés indigènes, donnant lieu à la fondation de l’Alliance des Peuples de la Forêt. Pour la première fois des seringueiros et des indigènes, qui si souvent s’étaient affrontés dans le passé ont uni leur forces contre l’ennemi commun : le latifundium, le capitalisme agricole destructeur de la forêt. Chico Mendes a defini avec passion l’enjeu de cette alliance : « Plus jamais un de nos camarades va faire couler le sang de l’autre, ensemble nous pouvons défendre la nature qui est le lieu où nos gens ont appris à vivre, à éléver leurs enfants, et à dévélopper leur capacités, dans une pensée en harmonie avec la nature, avec l’environnement et avec tous les êtres qui habitent ici ». [2] Comme l’on voit, Chico Mendes était parfaitement conscient de la dimension écologique de cette lutte ; il se rendait compte aussi que le combat pour l’Amazonie interessait non seulement les populations locales, mais toute l’humanité, qui a besoin de la forêt tropicale, le « poumon vert de la planète » :« Nous avons découvert que pour garantir l’avenir de l’Amazonie, il fallait créer une reserve uniquement destinée à l’extraction , en préservant ainsi la forêt. (…) Nous, les seringueiros, nous comprenons que l’Amazonie ne peux pas devenir un sanctuaire intouchable. D’autre part, nous comprenons aussi qu’il est urgent d’empêcher la déforestation qui menace l’Amazonie et donc menace même la vie de tous les peuples de la planète ». (…) [3]La solution proposée, une espèce de réforme agraire adaptée aux conditions de l’Amazonie, est d’inspiration socialiste, dans la mesure où elle est fondée sur la propriété publique de la terre, et son usufruit par les travailleurs. En 1987, des organisations environnementalistes nord-américaines invitent Chico Mendes à venir témoigner lors d’une réunion de la Banque Interamericaine de Dévéloppement ; sans hésitation, il explique que la déforestation de l’Amazonie est le résultat de projets financés par les banques internationales. C’est à partir de ce moment qu’il devient internationalement connu, recevant, peu après, le Prix Ecologique « Global 500 » des Nations Unies. Son combat était devenu un symbole de la mobilisation planétaire pour sauver la dernière grande forêt tropicale du monde, et des écologistes du monde entier se solidarisaient avec lui. Pragmatique, homme de terrain, Chico était aussi un rêveur et un utopiste, au sens noble et révolutionnaire du mot. Il est impossible de lire sans émotion le testament socialiste et internationaliste qu’il a laissé aux générations futures, publié après sa mort dans une brochure du syndicat de Xapuri et de la CUT :« Attention, jeune de l’avenir :« 6 septembre de l’an 2120, anniversaire du premier centenaire de la révolution socialiste mondiale, qui a unifié tous les peuples de la planète, dans un seul idéal et une seule pensée d’unité socialiste, et qui a mis fin à tous les ennemis de la nouvelle société.« Ne restent ici que le souvenir d’un triste passé de douleur, souffrance et mort. « Excusez-moi. Je rêvais quand j’ai décrit ces événements que je ne verrais pas moi-même. Mais j’ai le plaisir d’avoir rêvé ». [4] Pour l’oligarchie rurale, qui a, depuis des siècles, l’habitude d’ « éliminer » - en toute impunité - ceux qui osent organiser les travailleurs pour se battre contre le latifundium, il était « un gars marqué pour la mort ». En décembre 1988, Chico Mendes est assassiné, devant sa propre maison, par des tueurs à gages au service du clan des propriétaires fonciers Alves da Silva . Devenu une figure legendaire, un héros du peuple brésilien, il inspire jusqu’au jourd’hui les luttes socio-écologiques du pays. -------------Une des plus proches collaboratrices de Chico Mendes, Marina Silva, elle aussi seringueira par son origine, est devenue, à partir de 2001, Ministre de l’Environnement dans le gouvernement de Lula, où elle a tenté de promouvoir des mesures de protection de la forêt - mais n’a pas pu empêcher la légalisation, par son gouvernement, de la soja transgénique imposée par la multinationale Monsanto. De plus en plus »
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