Suite du billet précédent.
La séquence des évènements telle que décrite dans le journal brésilien « Jornal da Tarde » a été approximativement traduite par le journal « Le Monde » dans l’article suivant :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/06/04/l-airbus-d-air-france-volait-a-une-vitesse-erronee_1202293_3224.html#ens_id=1200707
Tentons une analyse modeste de la séquence des événements (en italique, les extraits de l’article du monde).
« A 23 heures, soit vingt minutes avant l'entrée prévue de l'Airbus dans l'espace aérien du Sénégal, le pilote envoie un message signalant qu'il traverse une zone de fortes turbulences, dans des cumulo-nimbus chargés d'électricité et des vents violents. Les satellites météo attestent que les vents soufflaient à 160 km/h. »
C’est un message ACARS saisi par l’équipage (NB. Procédure standard).
« Les problèmes commencent à 23 h 10 lorsqu'un message signale la déconnexion du pilote automatique. On ignore si cette opération a été effectuée par l'équipage ou si elle a été provoquée par les systèmes de sécurité. Cette déconnexion intervient, en effet, automatiquement lorsque les ordinateurs détectent une panne grave. »
La déconnexion du pilote automatique (PA) n’est pas un élément anodin car dorénavant un des membres de l’équipage va être mobilisé par le pilotage manuel de l’avion.
« L'équipage a-t-il voulu dévier de sa trajectoire pour éviter les zones les plus dangereuses ? Si oui, l'opération s'annonçait délicate. Selon un pilote cité par l'Estado, le contrôle manuel d'un avion à haute altitude est "extrêmement difficile". Une chose est sûre : à partir de cet instant, l'Airbus est piloté manuellement. »
Si l’équipage avait voulu dévier de sa trajectoire, il n’avait pas besoin de désengager le PA. Il suffisait de désactiver le mode « waypoint » et de faire tourner l’avion au rotacteur « heading knob ». Par contre, l’équipage peut souhaiter désengager le PA si celui-ci se comporte mal ce qui peut arriver dans une atmosphère turbulente. Le PA a une constante de temps de réaction qui lui est propre, l’avion a la sienne, et les perturbations de l’atmosphère en sont une troisième. Il peut donc se développer un mode résonant (comme les soldats marchant au pas sur un pont) ce qui provoque des oscillations exagérées et désagréables de l’avion. Dans ce cas revenir au pilotage manuel peut être souhaitable.
L’affirmation du pilote cité par l’Estrado me semble pour ma part exagérée.
Par contre le PA peut se désengager de lui-même. Les causes possibles sont multiples (pannes, incohérences de données, actions pilotes excessives ou non confirmées, …).
« A la même minute, un autre message informe que le "fly-by-wire", autrement dit les commandes électriques de vol qui activent les volets et les ailerons, passe sur le régime "alternative law". Cette alimentation de secours est actionnée automatiquement en cas de pannes électriques multiples. L'avion conserve alors suffisamment d'électricité pour voler, mais plusieurs systèmes de contrôle de la stabilité de l'appareil sont détériorés. Dans une telle situation, une alarme sonne pour alerter le personnel de cabine. »
Commençons par tordre le cou à aux inepties relatives à l’alimentation de secours. Seule la première phrase de se paragraphe a un sens. Le reste c’est n’importe quoi car le fait que le calculateur PRIM1 des commandes de vol passe en « alternate low » ne signifie pas qu’un problème électrique est en cours (c’est une des possibilités parmi des milliers). N’oublions pas que l’ACARS marche toujours.
Plus probable est une incohérence entre les mesures de vitesse qui est un des rares faits reconnu comme avéré par le BEA dans son communiqué laconique d’aujourd’hui (05/06/09) :
http://www.bea.aero/fr/enquetes/vol.af.447/com05juin2009.php
C’est peut être à rapprocher avec le problème de givrage des pitots (instrument de mesure de la vitesse par rapport à l’air) évoqué précédemment. Cela peut aussi expliquer un désengagement automatique du PA.
Néanmoins, les causes possibles du passage des commandes de vol de « Normal Low » à « Alternate Law 1 ou 2 » sont très nombreuses.
Cependant, ce n’est pas anodin car beaucoup de sécurités sont désormais désactivées ou sont en mode dégradé (faute de mesures fiables, le calculateur ne peut décider).
Ainsi, la protection « Low Energy » ou risque de décrochage est perdue. Par contre la protection « Load Factor » reste active. Celle-ci empêche l’exécution d’une commande qui pourrait conduire à la destruction de l’avion (Ex virage trop brusque à vitesse élevée à rupture structurelle de l’avion).
Néanmoins, comme l’avion est en pilotage manuel depuis le désengagement du PA, cela ne peut qu’aggraver le stress et la charge de l’équipage.
« A 23 h 12, deux autres messages auraient signalé des pannes dans deux équipements fondamentaux, Adiru (Air Data Inertial Reference Unit) et ISIS (Integrated Standby Instruments System). Ces ordinateurs fournissent des informations capitales sur l'altitude, la vitesse et la direction du vol. »
Ce point est démenti par le BEA.
L'ADIRU1 est la centrale à inertie primaire qui s’auto vérifie avec l’une des deux autres. Si on la perd, on bascule sur une autre. Par contre si c’est une conséquence d’une erreur de type « mismatch » (les deux centrales ne sont pas d’accord), il est possible d’en perdre deux d’un coup.
Quant à la panne de l’ISIS, cela semble bizarre en première approche. C’est un instrument autonome d’ultime secours offrant un minimum d’informations (vitesse air, altitude barométrique, et un horizon artificiel construit sur une centrale à inertie rudimentaire). Il dispose d’une batterie interne et peut donc continuer à fonctionner même en cas de perte totale de l’électricité du bord (ce qui n’est pas le cas a priori).
« A 23 h 13, de nouveaux messages indiquent des pannes électriques dans l'ordinateur principal (Prim1) et l'auxiliaire (Sec1) de vol. »
OK, l’on passe sur PRIM2 et SEC2 et il reste PRIM3 plus les ultimes secours mentionnés dans mon paragraphe sur les commandes de vol.
Cependant, cela commence à faire beaucoup. Cette accumulation de pannes d’équipements critiques est très inquiétante. Dans le cockpit, ce doit être l’horreur, entre alarmes sonores permanentes et tous les écrans (s’ils marchent encore) au rouge !
« L'ultime message est envoyé à 23 h 14. Il signale : "cabine en vitesse verticale". C'est l'indice d'une dépressurisation, cause ou conséquence d'une désintégration en vol. »
Que dire de plus, si ce n’est que c’est la fin.
Quelques réflexions pour conclure.
Sous réserve de la validité de cette fuite partielle de la séquence des enregistrements ACARS, l’on peut juste en déduire que quelque chose à généré une séquence d’évènements et de pannes systèmes concernant notamment des équipements les plus critiques (donc les plus vérifiés / validés) de l’avion.
Même si la cause initiale (totalement inconnue à ce jour) n’était pas en elle-même catastrophique, elle a conduit l’équipage à faire face à une accumulation de problèmes donc à une surcharge de travail considérable, le tout dans un environnement météo très défavorable. Dans ces conditions, il est possible de se tromper surtout lorsque les évènements critiques s’enchainent de minute en minute. C’est malheureusement le scénario de beaucoup d’accidents d’avion. Quel que soit le niveau d’entrainement, d’expérience et de connaissance, 1 minute sous stress, c’est court pour analyser un problème dans un système aussi complexe que l’avionique d’un avion moderne.
Il se peut aussi que la cause initiale a fait tellement de dégâts que l’avion n’avait aucune chance. Si cela a duré de l’ordre de 5 minutes, ce n’est peut être que grâce à la qualité des systèmes et à la compétence de l’équipage qui ont combattu l’inévitable.
Il y a parfois des quasi miracles où la combinaison de l’excellence des équipages et des systèmes de l’avion sauvent des situations potentiellement sans espoir :
· Le commandant Sullenberger qui réussit un amerrissage dans la rivière Hudson, les deux moteurs de l’A320 étant en panne suite à l’ingestion d’oiseaux peu de temps après le décollage.
· Le commandant Piché et son copilote DeJager réussirent à poser aux Acores un A330 en panne de carburant après 19 minutes de vol plané.
· Et beaucoup d’autres exemples.
Malheureusement, cela ne s’est pas produit pour le vol AF 447.
Un appel à un peu plus de transparence !
Comme souvent, suite à un crash aérien, une sorte de loi du silence s’instaure.
Que le BEA, Airbus et Air France ne puisse pas conclure immédiatement, tout le monde l’admettra.
Pourquoi n’avoir pas tenu le discours suivant, le lendemain où le surlendemain de l’accident :
Messieurs, voila ce que nous avons :
· Aucune communication radio, pas d’alerte ni mayday
· Pas de trace des radars de l’aéronautique civile
· Voici tous les enregistrements ACARS de la dernière heure de vol (tout le monde savait qu’ils existaient car ils ont été mentionnés dès le premier jour pour défendre la thèse du foudroiement - NB elle n’est pas exclue)
Mais non. L’omerta reste de mise ce qui ouvre la porte à toutes les hypothèses et scénarios de la part des médias qui n’ont rien à se mettre sous la dent.
Inévitablement, il y a des fuites, des éléments d’informations qui transpirent, dont on ne sait s’ils sont vrais ou faux, s’ils sont partiels ou complets, …
Pourquoi ? Les besoins de l’enquête ! Il faudra m’expliquer en quoi la divulgation de la dernière heure des enregistrements ACARS nuirait à l’analyse dans le contexte du crash de l’AF 447 ! De plus, il n’est pas impossible que, dans le milieu des passionnés et spécialistes du monde aéronautique, des personnes contribuent positivement à la résolution du mystère en aidant à trouver la cause racine d’une catastrophe aérienne. A titre d’exemple, l’excellente analyse météo que j’ai signalée dans la première partie de ce bulletin.
Mais non. Donc toutes les élucubrations sont possibles et bien sur la théorie du complot que cette attitude finit par justifier.
Car quand même : Le Mont Saint Odile : Un Airbus A320 s’y écrase le 20 janvier 1992. Le BEA émet son rapport final le 26 novembre 1993. Cela peut sembler long pour une affaire purement franco-française mais soit, l’analyse n’est pas simple. Le pire c’est la justice : Jugement final le 7 Novembre 2006 !!! avec tous les artifices judiciaires possibles utilisés pour retarder le procès :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Vol_148_Air_Inter
Donc Mr Arslanian, président en exercice du BEA, vice-président à l’époque du crash du Mont Saint Odile, j’ose espérer que lors de votre conférence de presse de demain (06/06/09), vous allez afficher plus de transparence.