Dans mon dernier billet, j’avais tenté de décrypter sommairement les messages de maintenance émis par l’Airbus A330 du vol Air France AF447 avant qu’il ne disparaisse avec 228 personnes. Voici la suite.
Il y en a un intéressant, c’est le troisième en partant du bas :
34 11/06 FLR FR0906010210 34111506EFCS2 1,EFCS1,AFS,,,,,P
L’information se trouve au milieu, dans la chaine dans le numéro 34111506
- 34 : C’est le système ATA 34 donc la fonction Navigation
- 11 : C’est le sous ensemble des senseurs, de l’alimentation électrique, … qui servent à la navigation
- 15 : C’est l’anémomètre ou tube de Pitot : Il sert à mesurer la vitesse de l’avion, un des paramètres les plus importants !
- 06 : C’est la phase de vol, en l’occurrence, mode croisière
Ce message est un des premiers messages (02h10 UTC) même s’il apparaît en bas (Rappel, ils ne sont pas dans l’ordre).
Il signale une panne de Pitot donc la perte d’une information de vitesse.
Après cela, il y a une certaine logique dans le désengagement de nombreux systèmes, car faute d’une information fiable sur la vitesse il leur est impossible de prendre des décisions. Il y a donc un repli des automatismes de l’avion vers un mode dégradé et le renvoi de la gestion de l’avion vers l’équipage.
Hors le problème n’est pas vraiment nouveau :
Suite à des problèmes observé sur les Airbus A320, le fabriquant des tubes de Pitot, Thales, avait émis un bulletin signalant une faiblesse sur ce modèle en Septembre 2007 et conseillait de les changer sur tous les modèles d’avion équipés (A320, A330, A340). C’est un défaut de drainage qui les rendrait susceptible au givrage. Cependant, le bulletin n’est pas contraignant (en clair, le changement n’est pas obligatoire – faute de problèmes graves constatés).
Pourquoi, plutôt les A320 ? C’est une question de profil de vol. Un A320 est un court courrier qui effectue des « saut de puces » du style Paris-Marseille. Il vole donc moins haut (20000, 25000 pieds) ce qui est en plein dans la zone de température où le givrage peut classiquement se produire (-20°C à -35°C). Les A330 et A340 sont des longs courriers et volent plus haut (30000 à 35000 pieds). Dans les modèles « classiques » d’atmosphère, il y fait trop froid (-40 à -50°C) pour y rencontrer des conditions de givrage (il faut de l’eau en surfusion).
Mais il y a des précédents sur des Airbus A330 et A340
En Aout et Septembre 2008, Deux vols Fort de France – Orly d’Air Caraïbes sur des Airbus A330 rencontrent des conditions de givrage sévères à 35000 pieds en zone de turbulence (probablement nuages tropicaux). Le/les tubes de Pitot givrent et la vitesse devient erronée. Les pilotes dans leur rapport mentionnent les mêmes alertes que celles que l’on voie sur le vol AF447 (les messages rapportés par l’ACARS sont aussi affichés dans le cockpit sur l’écran ECAM). Les pilotes finissent par forcer le dégivrage manuel des tubes de Pitot et l’issue est heureuse. Néanmoins, les pilotes ont judicieusement ignoré les alarmes STALL (décrochage) sinon cela aurait pu se terminer beaucoup plus mal. A lire, car c’est très instructif : http://www.eurocockpit.com/docs/ACA.pdf
En Septembre 2008, Air Caraïbes décide de changer les tubes de Pitot sur sa flotte !
Air France a aussi eu des problèmes sur des long courrier : Un Tokyo - Paris et un Paris - New York, tous deux des A340.
Que dire aussi des incidents sur les A330 de Quantas (compagnie Australienne) avec en plus des dysfonctionnements ADIRU (centrale à inerte). Il y a eu atterrissage d’urgence et 36 blessés dont 22 graves (des passagers non attachés ont été violemment projetés au plafond – il est défoncé d’ailleurs).
Qu’a fait Air France à propos des tubes de Pitot ?
Air France a bien décidé des les changer mais à un rythme « assez mou » et en commençant par ses Airbus A320.
Air France reconnait qu’il y a aussi des problèmes observés depuis mai 2008 sur ses long courrier A330 et A340. Après analyse, elle décide de procéder au changement des tubes de Pitot sur ses A330 et A340 : Le programme de remplacement est officiellement lancé le 27 Avril 2009. Un mois plus tard, le vol AF447 dont l’A330 avait toujours ses tubes de Pitot d’origine disparaissait !
Le communiqué officiel d’Air France sur le sujet : http://alphasite.airfrance.com/fr/s01/
Qu’en conclure ?
L’enquête est loin d’être terminée donc pas de conclusions hâtives. Néanmoins quelques réflexions:
- En soit, le givrage ou la panne d’un ou plusieurs tubes de Pitot n’explique pas la catastrophe. Par contre cela provoque le passage de multiples systèmes critiques de l’avion en mode dégradé du fait de la perte ou de l’incohérence d’une information cruciale : la vitesse.
- L’équipage se retrouve à gérer un contexte de panne multiples (alarmes dans tous les sens, sonores et visuelles) et doit piloter à la main ce qui mobilise à 100% un des membres de l’équipage. L’avion, volant vers une extrémité de son domaine de vol (coffin corner) la situation est potentiellement dangereuse. Un certain nombre de sécurités ont disparues et l’environnement est délicat (il fait nuit et la météo n’est pas favorable). De plus les systèmes peuvent générer des fausses alertes (cf. le rapport d’Air Caraïbes) ce qui peut induire des mauvaises décisions. L’on peut même se poser des questions sur ce qu’il reste comme référence viable pour naviguer lorsque l’on constate que même l’ISIS (ultime secours de navigation) se déclare en panne.
- Le scénario du givrage à cette altitude de vol (30000 à 35000 pieds) est habituellement exclu. Cependant les pannes rapportées sur le vol AF447 (tube de Pitot, ISIS, antenne TCAS) sèment de trouble. Il en est de même du témoignage des incidents vécus par Air Caraïbes. Il faudrait peut être revoir les procédures de vol et/ou les automatismes de dégivrage lorsque l’on traverse des cellules météorologiques tropicales ou équatoriales actives et agitées (cumulus culminant à plus de 50000 pieds !).
- Les incidents de Quantas sèment un certain doute sur le bon fonctionnement du système A330 et en particulier des centrales à inertie (ADIRU) lorsqu’on est en mode dégradé.
- On entend beaucoup parler du principe de précaution. En ce qui concerne les tubes Pitot, Air France était en train de l’appliquer mais assez mollement (cela fait plus d’un an et demi que le fabricant avait recommandé leur changement) et peut être trop tard pour 228 personnes. Le retour d’analyse des incidents d’Air Caraïbes (qui a changé immédiatement les tubes Pitot de sa flotte) se semble pas avoir été pris très au sérieux. Pourtant, Air France et Air Caraïbes dépendent de la même entité régulatrice …