Par Soheib Bencheikh, mufti de Marseille, texte d'un entretien paru dans la revue Hommes & migrations, "Laïcité mode d'emploi", n°1218 - mars 1999.
Le mot "laïcité" vient du vocabulaire de la culture catholique qui divisent les hommes en croyants et païens et les croyants en clercs et laïcs. Par extension, on a tiré le mot "laïcité" du mot "laïc". Dans la culture musulmane, cette division entre clercs et laïcs n'existe pas ; et ce, dans aucune des langues (arabe, persan, etc.). Dans l'islam, on ne connaît ni clerc ni clergé qui puisse s'accaparer la gestion des consciences ou le monopole de la compréhension du message divin. Dans l'islam, tout homme est clerc, imam ou non, et tout homme est laïc, imam compris.
Ainsi il n'y a pas un mot dans la langue arabe qui soit l'exacte traduction du mot "laïcité", pour la simple raison que tout homme est laïc et que nous n'avons pas un clergé à laïciser. (...) il vaut mieux traduire le mot "laïcité" par le mot arabe al-hiyâd al-dîni qui signifie "neutralité religieuse".
Outre qu'il s'agit là du terme le plus proche de l'idée exprimée par le mot laïcité, un grand nombre de verset coranique appellent explicitement à cette neutralité, à la liberté des consciences, a u libre choix de croire ou non : "Point de contrainte en religion ; le droit chemin se distingue de l'errance". (Verset 256 de la sourate 2). "Dis : La Vérité émane de votre Seigneur. Croit qui veut ; et ne croit pas qui veut...". (Verset 29 de la sourate 18).
La solution, dans le monde musulman, n'est pas d'introduire une nouveauté — en l'occurrence occidentale — pour limiter l'excès d'une religiosité qui s'imposerait de force, mais, au contraire, de retrouver le message initial de l'islam. Ainsi devrions-nous mesurer que, loin d'être "incapables de la comprendre", les croyants les plus proches de la laïcité "à la française" sont les musulmans. Je dis souvent, mi-amusé, mi-sérieux, que le Prophète Mahomet était un protestant avant la lettre en ce qu'il a refusé que la religion ne devienne une spécialité exclusive des prêtres.
La seule autorité dans notre religion est un texte : le Coran ; chacun le lit avec ses aspirations, ses attentes, ses soucis. On peut en avoir plusieurs interprétations, et personne n'a le droit de forcer les consciences. Qui se dit musulman est considéré comme tel et son lien est direct, intime, avec le Créateur.