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Billet de blog 28 février 2011

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LE SIONISME EST-IL LE DERNIER PROJET COLONIAL ? (3/7)

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(Tel Arad, -1200, sud d'Israël)

Par Alain Dieckhoff

En 1880, quatre cent soixante mille Arabes habitaient la Palestine ; à la veille de la Première Guerre mondiale, ils seront près de sept cent mille. Pour les 60 000 à 80 000 immigrants juifs qui s'installeront dans ce coin d'Orient entre 1882 et 1914, il n'était pas question d'ignorer purement et simplement une population aussi massive ; mais il y avait dans la pratique plusieurs façons d'en tenir compte.

Les "Amants de Sion" (nom générique qui regroupe les associations juives-russes qui, à partir de 1881, encouragent l'immigration en Palestine), qui, chassés par les pogroms russes, débarquent à Jaffa à partir de 1882, prônent essentiellement le retour à la terre, certains d'entre eux l'association à la renaissance politique, économique et spirituelle de la communauté juive. En l'espace de vingt ans, ils créeront une vingtaine de colonies agricoles rassemblant environ six mille personnes, mais ils se trouveront très vite dans une contradiction insoluble : bien qu'ils entendent réaliser la "productivisation" des Juifs par le travail agricole, ils seront obligés, à cause du manque de ressources, de se placer sous la protection financière du baron de Rothschild, qui les enferme dans un système hiérarchique et paternaliste ; bon nombre d'entre eux deviennent des contre-maîtres ou des fermiers qui dirigent une main-d'œuvre arabe plus docile, plus efficace et meilleur marché. Insidieusement, se met en place une structure économique de type colonial, où les nouveaux immigrants administrent des exploitations agricoles qui emploient des "indigènes". Cette évolution est loin d'avoir des effets purement négatifs.

Certes, des conflits de voisinage éclatent parfois, les Juifs ne connaissant pas les pratiques coutumières (usage de l'eau, libre pâture, etc.). Quant aux paysans arabes, ils attaquent à plusieurs reprises des colonies, qu'ils accusent — à tort — d'avoir acquis de terres illégalement. Mais malgré ces incidents, qui ne constituent pas encore une protestation politique globale contre la présence juive, les rapports quotidiens entre Juifs et Arabes étaient plutôt bons jusqu'au début de ce siècle. Ceux des fellahs (paysans arabes) qui étaient attirés par la prospérité, relatives des colonies juives, s'établissaient souvent à côté d'elles et leur vendaient des produits alimentaires. Le recours intensif aux ouvriers arabes, cinq à dix fois plus nombreux que leurs ouvriers juifs, fut, plus que tout, un facteur d'apaisement dans les relations communautaires.

L'arrivée, entre 1904 et 1914, d'environ 40 000 immigrants originaires de l'empire tsariste et animés par des idées socialistes, amena une détérioration de ces bonnes relations avec les Arabes. En effet, David Ben Gourion, le futur fondateur de l'Etat d'Israël, et ses amis sont, contrairement à leurs prédécesseurs des années 1880, décidés à établir en Palestine une société juive entièrement indépendante. Cet objectif requiert la constitution d'une infrastructure économique juive autonome. Dans un premier temps, de 1905 à 1909, les militants des deux partis ouvriers nouvellement créés, le Poalei Tzion et le Hapoel Hatzaïr, tentent de promouvoir, avec des slogans de "prolétarisation" et de "conquête du travail", l'emploi exclusif de main-d'œuvre juive dans les colonies déjà créées.

Cette revendication ne rencontre qu'un succès limité, notamment parce que les fermiers juifs se méfient beaucoup de ces jeunes exaltés russes ultra-politisés. Dès lors une autre stratégie apparaît dans les années 1910 : la formation de "communes collectivistes" (Kibboutsim), où le travail est uniquement effectué par des Juifs. Nouveau paradoxe du sionisme : à partir du moment où il s'affirme comme projet national, il rompt avec l'organisation coloniale qui s'était progressivement mise en place et suscite par là même une hostilité de plus en plus affirmée des Arabes, désormais exclus d'une économie juive autarcique.

Revue L'Histoire

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