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Billet de blog 13 août 2014

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Diversité culturelle: le double message des élites françaises

La poussée de la droite réactionnaire et de l'extrême droite aux dernières élections ne doit cependantpas faire oublier qu'elles ne possèdent pas en France, le monopole du racisme et de la xénophobie.

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La poussée de la droite réactionnaire et de l'extrême droite aux dernières élections ne doit cependant
pas faire oublier qu'elles ne possèdent pas en France, le monopole du racisme et de la xénophobie.
L'ensemble de la classe politique est concernée par ces questions et la gauche plurielle se doit de
traiter ces sujets en profondeur dans sa reconstruction et la poursuite de sa lutte contre les inégalités.
L'académie française, garante des valeurs républicaines, en nommant parmi ses membres le
philosophe Alain Finkielkraut, participe au clivage idéologique de la société sur le
multiculturalisme. La France renvoie par ses élites politiques, médiatiques et intellectuelles un
double message : l'accueil et le rejet de la diversité culturelle

La diversité culturelle reste au cœur du débat entre ses défenseurs peu audibles en période de
chômage de masse, et ses opposants qui hiérarchisent les civilisations, les cultures entre elles,
revendiquant la supériorité symbolique du français de souche. La réception de ce double discours
par les minorités ethnoraciales rend plus complexe le processus d'intégration et d'allégeance à la
nation. Le modèle assimilationniste présenté par certains penseurs qui consiste à faire disparaître de
l'espace public les mœurs et les coutumes du pays d'origine, n'endigue pas suffisamment
les phénomènes de discrimination liés au faciès, au nom de famille, à la couleur de peau ou à
l'appartenance ethnique. De plus, le degré d'assimilation reste très souvent lié au niveau
socioculturel de ces groupes minoritaires. L'apprentissage des normes et des codes sociaux du pays
d'accueil demande, pour la plupart d'entre eux, plusieurs années voire plusieurs générations.

Avec la crise économique, l'État doit réaffirmer sa position en faveur de la diversité culturelle.
A la signature du texte de la convention adoptée par la 33e Conférence Générale de l'UNESCO
le 20 octobre 2005, Philippe Douste-Blazy et Catherine Colonna s'exprimaient ainsi : "Nous saluons
l'adoption de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions
culturelles dont le Président de la République avait fait l'une de nos priorités des septembre 2002".
La diversité culturelle est sérieusement menacée par la montée des populismes, les haines inter-
communautaires, et l'immobilisme du pouvoir exécutif censé la promouvoir.

Les industries culturelles et créatives se nourrissent de la diversité pour répondre à la demande du
marché et des consommateurs. Les valeurs du vivre ensemble sont utilisées à des fins marketing,
dans le but de vendre des produits et des services en libre circulation, et suivre ainsi, des logiques de
rentabilité. A l'heure de la mondialisation, les minorités visibles séduisent un public de plus en plus
large en proposant des œuvres artistiques standardisées. Le chanteur Stromae domine les ventes de
disque en France depuis un an et Omar Sy (après ses vingt millions d'entrées pour le film
Intouchables) s'envole mener une carrière outre-Atlantique. Si cette diversité est plus visible à la
télévision, elle a pour rôle initial d'être représentative de la population de référence. Mais sa
mission consiste avant tout à doper les audiences et conquérir des nouvelles parts de marché. Sa
présence télévisuelle n'est pas forcément caractéristique de l'intégration des minorités ethnoraciales
dans les industries culturelles, où seule une petite minorité "dans la minorité", rencontre un succès
populaire.

Les élites françaises se reproduisent en ouvrant la voie à une élite « colorée » dans laquelle les
populations issues de banlieues, des migrations arabo-africaines et des Dom Tom peuvent se
référer. Le double message d'ouverture et de rejet de la diversité culturelle, permet de sélectionner
parmi les groupes ethnoraciaux, les individus les plus distingués par leur performance, leur capacité
d'assimilation, ceux qui serviront les intérêts de la France sur le plan économique, politique,
culturel etc...

Les politiques d'intégration destinées aux populations « exogènes» lorsqu'elles échouent,
s'expliquent par l'incapacité collective à s'engager dans un projet commun. Comme le soulignait le
sociologue Abdelmalek Sayad, l'intégration est un « processus inconscient, quasi invisible de
socialisation, qui ne peut être uniquement le produit d'un volontarisme politique de la société » .
Certaines personnes appartenant à ces groupes ethniques intériorisent alors des complexes
d'infériorité et produisent elles-mêmes des mécanismes de discrimination (échec scolaire, repli
communautaire, délits etc..)

Dans une commune, le cadre d'un parti de gauche constatait qu'il y avait peu de minorités parmi
leurs adhérents. Le discours d'ouverture à la diversité est pourtant clairement réitéré dans son élan
démocratique. Seulement l'organisation politique peine à attirer les minorités car celles-ci
perçoivent dans le processus inconscient de socialisation le discours opposé. Les discriminations
structurelles ou la quasi absence des minorités ethnoraciales au sein des organismes privés ou
publics résultent (lorsque celles-ci ne sont pas volontaires) de la coexistence d'un message d'accueil
et de rejet de la diversité. Il faut évidemment tenir compte dans cette argumentation de la sociologie
des populations et de la représentation des minorités dans les villes, les départements, les régions...

En ne saisissant pas véritablement les enjeux de la diversité culturelle, la gauche court le risque de
véhiculer l'idée d'une justice sociale à deux vitesses, et voir son combat contre les inégalités glisser
dans les urnes de l'extrême droite. « En organisant une division du travail partisan entre majoritaires
et minoritaires, entre normaux et divers, entre légitimes et illégitimes, les promoteurs des
« minorités visibles » contribuent involontairement à perpétuer les discriminations politiques, voire
à les aggraver. » rappelle à juste titre Vincent Geisser.

Les élites françaises utilisent les méthodes inspirées du grand modèle social américain. Elles
envoient un message d'ouverture à une petite élite issue des migrations post-coloniales,
performante, assimilée, conforme à leur idéal républicain. Celle-ci devra après avoir été formée,
répondre à des besoins spécifiques du « marché politique » et économique en véritable « produit
d'appel », aux clients et aux électeurs. Elle entretiendra alors le rêve d'une société multiculturelle à
l'anglo-saxonne, en couvrant d'un voile médiatique, les discriminations structurelles dont sont
victimes au quotidien, les minorités auxquelles elle appartient.

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