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Billet de blog 23 juin 2025

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La chute du Flamboyant : Marc Hélias raconte le déracinement polynésien

Dans son quatrième roman, Marc Hélias suit le retour bouleversant de Nakura, une jeune femme polynésienne adoptée et élevée à Paris, qui tente de renouer avec sa terre natale. En retrouvant sa mère biologique dans les quartiers populaires et traditionnels de Papeete, elle découvre un monde qu’elle ne connaît plus. Un récit sensible sur l’identité, l’exil intérieur et la quête de soi.

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Illustration 1
Emission: Un livre, un lecteur - Florence Berthout © RCJ

Si la Polynésie française n’est plus juridiquement une colonie, elle n’est pas pour autant pleinement décolonisée. C’est ce paradoxe que l’ONU tente d’appréhender à travers la notion de « subjugation », c’est-à-dire le degré de dépendance réelle à l’égard de la puissance tutélaire. Ni pleinement souveraine, ni intégrée, ni en régime de self-government, la collectivité d’outre-mer polynésienne reste dans un entre-deux postcolonial où se rejouent les ambiguïtés de l’histoire coloniale française. Au lieu d’inventer des normes adaptées à son contexte, la Polynésie reproduit encore trop souvent des modèles métropolitains inadaptés, dans un mimétisme institutionnel et culturel analysé par le politologue Sémir Al Wardi comme l’un des symptômes d’une « colonisation des esprits »[1]. Pour l’écrivaine Chantal Spitz[2], , seule la décolonisation intérieure, intellectuelle et politique peut permettre aux sociétés polynésiennes d’envisager une souveraineté culturelle, qu’elle soit ou non accompagnée d’une indépendance politique.

C’est précisément ce territoire mouvant, fait de filiations coupées, de mémoires enfouies et de récits métissés, que Marc Hélias explore avec finesse dans son quatrième roman, La chute du Flamboyant (éditions Brava). Le livre raconte autant une quête personnelle d’identité qu’un face-à-face avec les séquelles toujours vivaces du passé colonial.

Marc Hélias, écrivain au cœur des fractures polynésiennes

Breton d’origine mais profondément enraciné en Polynésie française, Marc Hélias est un observateur privilégié des mondes ultramarins. Ancien journaliste aux Nouvelles Calédoniennes, puis responsable du service de presse du gouvernement polynésien dans les années 1990, il dirige aujourd’hui la communication de la Délégation de la Polynésie à Paris, tout en poursuivant une thèse intitulée Communication politique en Polynésie française de 1991 à nos jours sous la direction de Fabrice D'almeidia.[3] À travers son parcours professionnel, il a traversé les strates sociales et politiques de l’archipel, des quartiers populaires aux couloirs du pouvoir.

Après trois romans historiques inspirés des légendes bretonnes, Les Amants du Verdelet, Le Moine rouge du Tro Breizh et La Malle aux épices, Marc Hélias choisit dans son ouvrage de porter sa plume vers son territoire d’adoption : la Polynésie française. Et c’est une véritable plongée dans les contradictions contemporaines de ce territoire qu’il offre à ses lecteurs.

L’histoire suit Jackie, jeune parisienne d’origine polynésienne, adoptée très tôt par un couple d’intellectuels métropolitains. Diplômée, rangée, détachée de ses origines, elle mène une vie sans remous jusqu’au jour où ses parents lui offrent un billet pour Tahiti. Ce retour inattendu la fait basculer dans une autre réalité : celle de Nakura, son nom d’origine, de sa mère biologique vivant en périphérie de Papeete, et d’un passé dont elle ignorait tout.

À travers la figure de Nakura, Marc Hélias explore les conséquences psychologiques et sociales de la fa’a’amura’a, la tradition d’adoption polynésienne, tout en y mêlant une réflexion plus large sur l’identité, la mémoire, et les blessures non cicatrisées d’un peuple traversé par l’histoire coloniale. Ce récit personnel devient ainsi une allégorie du désenchantement.

Le Flamboyant, arbre ancestral d’un peuple oublié

Le Flamboyant de Faa’a, arbre mythique déraciné par une tempête en 2014, donne son titre au roman. Symbole d’un lieu de vie, de rassemblement pour les plus modestes, il est ici la métaphore d’un ancrage perdu, d’un soutien effondré. Sa chute résonne comme celle des repères d’une société où les écarts se creusent entre l’image idéalisée de la Polynésie et sa réalité sociale. L’arbre, refuge des marginalisés, devient le pivot émotionnel et symbolique du roman.

Si le roman est fictionnel, il puise pourtant dans une trame profondément ancrée dans la réalité. L’auteur raconte avoir été bouleversé par une rencontre avec une jeune femme polynésienne en quête de ses parents biologiques. À travers Nakura, il réinvestit aussi sa propre expérience de Breton devenu témoin et acteur de la société polynésienne, mais non sans questionner sa légitimité à en parler. « J’ai longtemps eu ce sentiment de ne pas être légitime », confie-t-il[4]. Mais l’urgence de témoigner et de transmettre a pris le pas.

Le livre évite l’écueil du misérabilisme ou de l’exotisme. Marc Hélias dépeint sans fard les failles d’un système politique encore marqué par les logiques de domination, mais sans céder au cynisme. À travers une narration sensible, il donne à voir une Polynésie à la fois belle et blessée, fière et fracturée, où cohabitent traditions vivantes, pauvreté, racisme, mémoire traumatique et aspirations modernes.

Un roman des mémoires enfouies

À l’heure où la France avance encore à reculons sur la reconnaissance du fait nucléaire, de l’arrestation de Pouvana’a a Oopa ou de la pleine souveraineté culturelle des territoires d’outre-mer, le roman s’impose comme un roman politique et nécessaire. Il interroge non seulement les rapports entre la France et sa périphérie ultramarine, mais aussi les enjeux intimes de l’héritage colonial.

Pour ceux qui cherchent à comprendre la Polynésie au-delà des lagons et des colliers de fleurs, La chute du Flamboyant offre un regard juste, subtil et documenté. Une voix littéraire qui ose, enfin, poser les bonnes questions.

Interview Marc Hélias pour la sortie de son roman "la chute du flamboyant" aux éditions Brava © Nathalie Le Borgne

La chute du Flamboyant, de Marc Hélias
ISBN : 9782958336011
Disponible en librairie et en ligne.

[1] Al Wardi, S. (2018). La Polynésie française est-elle une colonie ? Outre-Mers, 398-399(1), 235-254. https://doi.org/10.3917/om.181.0235.

[2] Chantal Spitz, née le 18 septembre 1954 à Papeete (Tahiti), est une écrivaine polynésienne. Elle est la première écrivaine polynésienne à avoir publié un roman en 1991.

[3] La thèse de Marc Hélias étudie l’évolution de la communication politique en Polynésie française depuis 1991, confrontée aux enjeux d’autonomie, d’identité, d’instabilité politique, d’émancipation médiatique et de transformations sociales et technologiques.

[4] Delphine Barrais, Marc Hélias signe La Chute du flamboyant, un roman plein de rebondissements, Tahiti Infos, le 25 décembre 2022 URL : https://www.tahiti-infos.com/Marc-Helias-signe-La-Chute-du-flamboyant-un-roman-plein-de-rebondissements_a214253.html

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