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Billet de blog 4 octobre 2010

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Autour du pot

C'est la plus inattendue des expos, et sans doute aussi la plus culturelle, au propre comme au figuré. « Chiottissime ! », point d'exclamation en sus, se tient à ciel ouvert le long du bassin de l'Arsenal à la Bastille.

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C'est la plus inattendue des expos, et sans doute aussi la plus culturelle, au propre comme au figuré. « Chiottissime ! », point d'exclamation en sus, se tient à ciel ouvert le long du bassin de l'Arsenal à la Bastille. Je la conseille aux manifestants de samedi qui pourront la voir en passant, sans même quitter le cortège. Elle rassemble 46 photos grand format qui ne tournent pas autour du pot, si l'on ose dire. Vues saisissantes depuis la lunette des W. C. comme miroir de l'humaine condition physiologique tout autour du monde. Toilettes en or d'un magasin de luxe à Hongkong, latrines misérables des camps de réfugiés en Thaïlande, au Pakistan ou en Ingouchie. Toilettes flottantes sur le Mékong, cabanons sur la banquise ou en plein Sahara. Pissotières en Islande où chacun vient se soulager sur les photos des banquiers responsables de la faillite financière. Restaurant à Taïwan dont les clients sont assis sur des sièges conçus pour l'usage qu'on devine. Friche à Beyrouth où un scénographe a disposé des centaines de cuvettes de faïence, telles les croix blanches d'un cimetière militaire. Et puis encore Andy Warhol chez lui à New York, très concentré sur la lunette, des haltères dans chaque main, ou le prince Charles sortant des toilettes publiques d'un parc en Australie, l'air songeur. La dame-pipi du métro (photo de Willy Ronis) qui s'est endormie sur sa chaise, dans l'attente de l'usager. Ou les forts des Halles du ventre de Paris dans une vespasienne au milieu de la cohue (photo de Robert Doisneau). Sans oublier la jeune fille de Milan en pleine lecture au « petit coin ». Devant cette composition picturale, on se reportera au petit livre d'Henry Miller « Lire aux cabinets » (éditions Allia), précieux viatique sur une pratique très répandue. « Chacun, écrit-il, a, je suppose, son genre de lecture favori pour l'intimité des cabinets. Certains absorbent de longs romans, d'autres ne lisent que bagatelles sans consistance, magazines illustrés, feuilletons, tout le rebut de la littérature... »

Et ces édicules chantés jadis par les Frères Jacques ? Souvenez-vous :

« Nous sommes les petits cabinets,

les petits cabinets de province,

ceux que l'on évince,

que l'on met très loin, très loin

tout au fond du jardin...

Sommes-nous donc tellement indignes,

Oui, s'il vous plaît,

n'avons-nous pas les mêmes attributions,

les mêmes fonctions que ceux de la capitale

des chefs-lieux, des villes principales...

Notre ouverture est béante, géante,

Le regard plonge à l'infini,

On n'en voit pas le fond... »

Lieux d'aisances, dites-vous ? N'oublions pas que capitalisme et constipation ont une origine commune : le besoin d'accumuler et de conserver. Mais c'est une autre histoire...

Michel BOUJUT

Chronique parue dans la « Charente Libre » du 2 octobre.

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