C'est, on le sait, le film de Bertrand Blier qui, le jour de sa sortie nationale, le 25 août, a fait l'ouverture en fanfare du 3e festival francophone d'Angoulême. Une manifestation (merci à Dominique Besnehard ) qui s'impose désormais comme une réussite éminemment populaire aussi bien que cinéphilique, malgré l'hostilité de certaine présidente de région, ici plus fée Carabosse que madone des lumières... Mais c'est une autre histoire. « Le bruit des glaçons », film trompe-la-mort, est une œuvre forte et dérangeante où le ton si spécifique de Blier (absurde, humour noir, provocation et mauvais esprit) s'exprime mieux que jamais en prenant tous les risques face à la grande faucheuse. « Bonjour, je suis votre cancer ! » La première réplique de cette comédie cauchemardesque adressée par Albert Dupontel à Jean Dujardin retentit comme un coup de tonnerre dans un ciel d'été. Anticipant sur la tristesse et l'effarement devant la disparition d'un autre cinéaste qui nous est cher, Alain Corneau, emporté il y a quelques jours par le même mal, au moment où son « Crime d'amour » tient sans lui l'affiche. Foin des éloges funèbres, Corneau, le rayonnant, doué d'éclats de rires communicatifs, portait sur toutes choses le regard franc de celui qui a le goût des autres, ancêtres ou contemporains. Il plaisantait sur le lieu de sa naissance : Meung-sur-Loire, là même où Alexandre Dumas avait situé l'apparition à cheval du jeune Gascon d'Artagnan au premier chapitre des « Trois Mousquetaires », bienheureuse lecture d'enfance, qui se termine ainsi : « Sans remords dans le passé, confiant dans le présent et plein d'espérance dans l'avenir, il se coucha et s'endormit du sommeil du brave. » Noble épitaphe.
Homme de passions à la curiosité toujours en éveil et marxiste sans œillères, Alain Corneau savait faire partager sa fascination pour le jazz (Lester Young, la West Coast et la New Thing), pour la littérature (Pérec, Jim Thompson, Antonio Tabucchi, Pascal Quignard ou Amélie Nothomb qu'il avait si subtilement adaptés à l'écran), pour le grand cinéma épique américain (de Sam Peckinpah à Clint Eastwood), pour l' Inde, le Japon ou la Birmanie, là où il souhaitait se retirer, un jour, avec sa compagne Nadine Trintignant.
Fraîchement diplômé de l'IDHEC, l'école du cinéma, à 22 ans, il n'avait pas réussi à réaliser le projet qui lui tenait à cœur : un portrait de John Coltrane, son idole, lors du festival d'Antibes en 1965. Bien des années plus tard, au moment de la sortie de l'irremplaçable « Tous les matins du monde » (1) - dédié à un autre musicien, Monsieur de Sainte-Colombe, l'admirable joueur de viole de gambe - il gardait le regret de ce « ratage », s'en excusant presque.
Alain Corneau n'aura pas raté son passage sur Terre. Ses films continueront longtemps à nous mettre du baume au cœur. « Bonjour, je suis votre concert ! »
Michel BOUJUT
(1) Lundi 6 sur Arte à 20H. 40.