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Billet de blog 15 février 2010

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La vraie nature des «nationaux»

C'est une lettre à en-tête de la Chambre des députés, elle date du 6 janvier 1938 ! Je la découvre dans un tas de vieux papiers oubliés dans un grenier. Le député de la Charente Jacques Poitou-Duplessy (1885-1967) envoie ses vœux pour la nouvelle année à ses électeurs et électrices.

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C'est une lettre à en-tête de la Chambre des députés, elle date du 6 janvier 1938 ! Je la découvre dans un tas de vieux papiers oubliés dans un grenier. Le député de la Charente Jacques Poitou-Duplessy (1885-1967) envoie ses vœux pour la nouvelle année à ses électeurs et électrices. « Je ne veux pas laisser commencer cette année, leur écrit-il, sans vous adresser mes vifs remerciements pour la fidélité que vous n'avez cessé de me témoigner à la défense PAR L'UNION DE TOUS LES NATIONAUX, DES IDEES QUI NOUS SONT CHERES. » Il précise plus loin sa pensée : « J'ose espérer que vous voudrez bien m'autoriser à faire appel à votre concours amical pour la lutte contre le marxisme... »

Au-delà du Rhin – nous sommes en 1938 – les bruits de bottes résonnent sur le pavé des villes. Le Führer plastronne et pérore sur les estrades, revendiquant le droit à l'espace vital pour le peuple allemand. Tout cela devrait glacer le sang du député « national ». Pas un mot sous sa plume à propos de ce danger mortel. L'ennemi, le seul, c'est en effet le marxisme et ses propagandistes au couteau entre les dents. Hitler, tout débraillé qu'il soit aux yeux du hobereau charentais, reste un allié de choix dans la croisade contre les Rouges. Plus tard, du reste, le Duplessy des Charentes votera, comme il se doit, les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.

Le choix du vocable « national » a toujours recouvert les pires saloperies. C'est mieux élevé que « fasciste », mais ça revient à peu près au même. Franco la Muerte se disait national, lui aussi, dans sa lutte à mort contre la République espagnole. L'historien Henri Guillemin a écrit il y a une trentaine d'années un livre définitif sur la question, « Nationalistes et nationaux (1870-1940) ». Ce qu'il y démontre assez lumineusement, c'est que les classes dirigeantes, pacifistes à la fin du 19ème siècle, chauvines ensuite, sont redevenues à partir de 1936 férues de paix à outrance, face à Hitler.

Tour à tour capitulards et patriotes, cette engeance aux mains sales et aux portefeuilles bien garnis ne connaît que la morale du profit et des biens mal acquis. C'est l'affreux Maurras, l'un de leurs porte-paroles, apôtre du nationalisme intégral, qui évoquera, phrase abjecte, « la divine surprise » de la victoire allemande de 1940. Pour lui, c'est la racaille ouvrière qu'il faut terroriser, pas les panzer divisions. Avant lui, le petit Thiers, fusilleur de la Commune en 1871, avait adopté la même attitude, se sentant plus d'affinités avec les Prussiens qu'avec les prolétaires parisiens. Les « nationaux » sont cohérents, toujours prêts à céder à la force, à condition d'y trouver leur profit. Leur patriotisme est un mensonge. Leur revendication de l' « identité nationale », une escroquerie, hier comme aujourd'hui. Les trompe-l'œil ont la vie dure.

Chronique parue dans la Charente Libre du 13 février 2010.


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