Une pure merveille que cette expo Claude Monet qui se prolonge au Grand Palais jusqu'au 24 janvier, un éblouissement. La première rétrospective à Paris depuis trente ans : 176 tableaux du maître impressionniste dispersés aux quatre vents et réunis là comme le plus beau et le plus éphémère des bouquets, tout au long d'un parcours chronologique et thématique qui restitue pleinement le foisonnement de l'œuvre et la démarche de l'artiste. Parcours du combattant, certes, pour y accéder et, une fois dans la place, pour s'approcher des œuvres exposées, tant la foule est dense et fiévreuse l'attente.
Dès l'entrée, deux versions d'un même paysage vous accueillent: «le Pavé de Chailly» dans la forêt de Fontainebleau. Tout les distingue cependant, volumes, couleur, ombres et lumière. Démonstration exemplaire. Ce qui importe le plus à Monet, c'est encore et toujours l'observation de la nature, attentive et têtue. Bords de mer en Normandie, là où le peintre a passé sa jeunesse, berges de la Seine à Argenteuil où il s'installe avec sa famille, à Bougival ou à Vétheuil, autre lieu de résidence. Peindre sur le motif, là où on vit. Peindre comme on respire, il n'y a pas d'autre secret. Partout, il capte la vibration de la lumière, à Etretat comme à Antibes, à Belle-Ile comme à Bordighera, satisfaisant pleinement sa passion pour la fluidité et la clarté. «Vous ne pouvez vous faire une idée de la beauté de la mer depuis deux jours, écrit-il à une amie, mais quel talent il faudrait pour rendre cela, c'est à rendre fou...»
A partir des années 1860, il va accumuler figures et portraits, tels son «Déjeuner sur l'herbe», resté inachevé, sa «Femme au jardin», toute blanche sous son ombrelle, ou encore ce si singulier «Coin d'appartement» où un enfant pensif se tient dans la pénombre, les mains dans les poches. Il peint aussi la gare Saint-Lazare et les locomotives à vapeur, emblèmes de la modernité, car «là est aujourd'hui la peinture», comme le lui fait remarquer son ami Zola. Trente ans après, en pleine possession de ses moyens et de sa matière, le voilà qui procède à des «séries», exécutant chaque fois une vingtaine de toiles du même site, par tous les temps, au fil des saisons et des heures de la journée: peupliers, meules de foin, cathédrales... «Je m'entête, écrit-il, à une série d'effets différents. Plus je vais, plus je vois qu'il faut beaucoup travailler pour arriver à rendre ce que je cherche: l'instantanéité.»
Plus tard, à Giverny, ayant trouvé la sérénité et presque perdu la vue, il peint jusqu'à sa mort les nymphéas de son jardin aquatique, les iris et les glycines, comme l'expression d'une lumière intérieure. Avec eux, il réinvente la peinture, changeant d'un coup notre vision du monde et notre sensibilité. «Je suis absorbé par le travail, remarque-t-il. Ces paysages d'eau et de reflets sont devenus une obsession.»
Qu'aura-t-on appris devant les tableaux de Monet à l'issue cette immersion? On sort du Grand Palais plus riche d'une expérience sensorielle à nulle autre pareille. Et donc mieux armé pour affronter nos indignations de chaque jour. Pour résister à la laideur et au mensonge. Beauté, révolte, soif de justice, tout se tient, n'est-il pas vrai ?
Chronique parue dans la « Charente Libre » du 15 janvier.