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Billet de blog 17 mai 2010

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En l'an 40

Soixante-dixième anniversaire de l'invasion allemande, catastrophe absolue. En mai 1940, il faisait beau, paraît-il. Il y avait du soleil sur la France. Le 10, sous un ciel limpide, les Panzerdivisions du général Guderian déferlent par les Ardennes. Début du grand naufrage national, effondrement et chaos.

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Soixante-dixième anniversaire de l'invasion allemande, catastrophe absolue. En mai 1940, il faisait beau, paraît-il. Il y avait du soleil sur la France. Le 10, sous un ciel limpide, les Panzerdivisions du général Guderian déferlent par les Ardennes. Début du grand naufrage national, effondrement et chaos. Le 13, grâce à l'action combinée des bataillons d'infanterie d'assaut et de l'aviation, le front est enfoncé à Sedan. C'est le jour même où je viens au monde –à Jarnac, Charente. Naître quand un monde meurt, j'ai choisi mon moment ! En juin, le canonnier Pierre Boujut, mon père, sera pris dans la nasse, non loin de la ligne Maginot. Prisonnier de guerre dans un stalag autrichien pendant quatre ans et demi. Je ne ferai sa connaissance qu'à son retour...

Je découvre tout à point aujourd'hui le texte écrit par Jacques Chardonne, Charentais comme moi, dans «la Nouvelle Revue Française» de décembre 1940. L'écrivain fasciste Drieu La Rochelle en a pris les commandes et y fera «collaborer» ceux de nos intellectuels qui, déjà, se couchent devant leurs nouveaux maîtres. La courte nouvelle de Chardonne porte un titre parfaitement anodin, vaguement élégiaque et mélancolique: «l'Eté à La Maurie».

L'auteur de «l'Epithalame», du «Bonheur de Barbezieux» et des «Destinées sentimentales», délicat horloger des mouvements du cœur, est aussi, on le sait moins, un négociant en cognac, propriétaire de la firme Boutelleau (son vrai nom). «Ce village est un bijou humain», dit-t-il de La Maurie, «grave, un peu sec, avec ses maisons nues fortement construites, parées seulement d'un toit de tuiles rondes aux tons soyeux, délicatement tachetées.» C'est là où vit Eugène Briand, «grand travailleur des champs, amoureux de sa vigne et de son cognac».

Un jour de juillet, un colonel de la Wehrmacht débarque chez lui sans crier gare, venant constater comment se comportent les officiers et soldats qui ont réquisitionné une partie de son logis. «Je n'ai qu'à me louer de leur tenue», lui répond le sieur Briand, ajoutant: «Les Charentais offrent volontiers ce qu'ils ont.» Découvrant qu'ils ont «fait» Verdun, ils se tombent quasiment dans les bras l'un de l'autre. Conversation d'une grande urbanité. «Cela doit vous faire de la peine de nous voir ici», s'inquiète l'Allemand. Réponse de son hôte: «J'aimerais mieux vous avoir invités, mais je ne peux rien changer à ce qui est. Appréciez mon cognac, je vous l'offre de bon cœur.»

Ainsi commence la collaboration bien comprise en terroir charentais. Suivent les considérations arrogantes du styliste hobereau sur «l'avilissement moral et mental de tout un peuple», ainsi que la description bucolique des beautés secrètes d'une terre qui, comme on sait, ne ment pas... Complaisance et veulerie. Mais le pire est à venir. Trois ans plus tard, en mai 43, Chardonne publiera à compte d'auteur un essai intitulé «le Ciel de Nieflheim». «Le meilleur du génie allemand, y lit-on entre autres, est contenu dans le national-socialisme.» La messe est dite.

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