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Billet de blog 20 septembre 2010

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Chagrin de Chabrol

Qui mieux que Claude Chabrol, celui que nous pleurons aujourd'hui, eût su nous donner une fiction inspirée par le feuilleton Woerth-Bettencourt? Il en suivait de près les rebondissements d'un épisode à l'autre, aussi réjoui que consterné.

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Qui mieux que Claude Chabrol, celui que nous pleurons aujourd'hui, eût su nous donner une fiction inspirée par le feuilleton Woerth-Bettencourt? Il en suivait de près les rebondissements d'un épisode à l'autre, aussi réjoui que consterné. Il eût pu appeler son film «Au cœur du mensonge» ou encore «l'Ivresse du pouvoir», s'il n'avait pas, comme on sait, déjà utilisé ces titres.

Chabrol n'était pas pour autant un cinéaste politique, plutôt un moraliste sarcastique et goguenard, un caricaturiste façon Daumier qui dévoilait les turpitudes, les secrets honteux et les hypocrisies du «bourgeois», entité sociale. Bien sûr, il se gaussait des hommes politiques, grotesque ou monstrueux au choix. «Quand on les regarde, disait-il en 2003, on voit ce qu'ils sont. Jospin le psychorigide, Chirac, la grande gidouille qui tourne au vent. Les élus proches du FN, les Millon et consorts, à qui on n'achèterait pas une voiture d'occasion. Sarkozy avec son faux air de De Funès se prenant pour Machiavel, il lui manque quinze centimètres, ce qui a des effets sur sa tournure d'esprit : "je sais que je suis petit, mais qu'est-ce que j'en ai dans le chou, je vais le prouver à tout le monde!"» Son préféré restait Raffarin. «Notable de province et maquignon au physique formidable, il a une vraie gueule, mais on ne sait pas la gueule de quoi!»

Chabrol, lui, était un cinéaste à la mine réjouie, de belle humeur et de bonne fréquentation. Il était aussi un homme d'humilité et de délicatesse sous la malice et la jovialité. «Il y a deux qualités formidables qui sont un peu dépréciées, confiait-il dans ses «Conversations» avec François Guérif (chez Denoël. La modestie et la gentillesse. La gentillesse, c'est aussi costaud que la force. On peut briser des murs de glace avec.» En bref, sa générosité consistait à faire des films comme un pommier donne des pommes puisque c'est sa fonction. En cinquante ans de cinéma, de 1958 à 2008, c'est-à-dire du «Beau Serge» à l'ultime et admirable «Bellamy», notre parfait jardinier aura réalisé un peu plus de cinquante films, noble record. «Les Bonnes femmes», «la Femme infidèle», «Que la bête meure», «le Boucher», «les Noces rouges», «Violette Nozière», «les Fantômes du Chapelier», «Inspecteur Lavardin», «Betty», «la Cérémonie», ou «la Fille coupée en deux» : autant de vrais chefs-d'œuvre qui, mis bout à bout, constituent le plus intriguant portrait de la société française d'une décennie à l'autre, en même temps qu'une interrogation sur le mal et ses masques, la connerie ou la folie.

C'est bête à dire, mais Chabrol nous manque déjà. Ce sentiment de perte irréparable nous réunissait vendredi à midi, toutes générations confondues et chagrin partagé, devant son cercueil sur le parvis de notre maison commune, la Cinémathèque française, à Bercy. Belle idée et bel adieu.

A relire, le N° hors-série des « Cahiers du cinéma » d'octobre 97, avec en particulier l'abécédaire de Chabrol, si fin et pertinent.

Chronique parue dans la « Charente Libre » du 18 novembre.

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