Quand l'actualité vous navre, petites phrases et grosses gaffes de sinistres comiques troupiers dont on ne voudrait pas même à Bobino (n'en déplaise à Yann Barthès, l'excellent décrypteur du Grand journal de Canal), il reste le recours à l'Histoire. Pas de meilleure alternative aux Balkany et B.H.L. réunis, pas de meilleur éclairage que la mise en perspective offerte par certains livres.
C'est le cas du « Willi Münzenberg artiste en révolution (1889-1940) », d'Alain Dugrand et Frédéric Laurent, paru chez Fayard il y a deux ans. L'Allemand Willi Münzerberg, grande figure de l'Internationale communiste, je ne le connaissais que de nom, mais sa personnalité m'intriguait pour toutes sortes de (bonnes) raisons. Au bout de 600 pages et quelques, je ne suis pas déçu ! Agitateur et organisateur hors pair, ledit Münzenberg a joué en coulisses, pendant plusieurs décennies et sur tous les terrains, un rôle majeur à Berlin, Zurich, Moscou et Paris.
Dans l'œil du cyclone, ce personnage éminemment romanesque avait voué son existence, depuis l'adolescence, aux idéaux communistes, sous la bannière de la faucille et du marteau. Plus aventurier, au sens noble du terme, que bureaucrate, il fut un militant discipliné, en même temps qu'un homme de conviction à l'esprit formidablement inventif. S'il dut avaler bien des couleuvres, il sut le plus souvent garder le cap, dans l'atmosphère délétère, terreur et mensonges, que faisaient régner Staline et ses sbires. Münzenberg n'avait pas l'âme d'un porte-serviette, il n'était pas l'un de ces « phonographes bipèdes » dénoncés par l'écrivain Arthur Koestler (« le Zéro et l'infini ») qui fut un temps son ami et collaborateur.
On le trouve pacifiste pendant la première guerre mondiale, parmi les Spartakistes de Rosa Luxemburg, après, et au côté de Lénine qui lui confie la propagande de l'Internationale communiste. A Berlin, au temps de la République de Weimar, il va devenir « le milliardaire rouge », honni par les différentes composantes de l'extrême droite nationaliste, prenant la tête d'un puissant groupe de presse et d'édition (dont l'hebdo illustré « AIZ », prototype du genre). Il s'occupera aussi de distribution de films (entre autres « le Cuirassé Potemkine »), inventant la communication politique moderne de masse. Par le biais d'innombrables comités, mouvements de masse et meetings, il saura rallier à ses causes les grands intellectuels occidentaux compagnons de route, Einstein, Gide, Malraux, Mann, Hemingway et consorts - ceux que Lénine avait appelé cyniquement comme on sait, les « idiots utiles ».
Il quitte l'Allemagne après l'incendie du Reichstag en 1933, se réfugiant à Paris où il poursuivra une activité intense dans la dénonciation du nazisme et la solidarité anti-fasciste. Au moment des procès de Moscou, il a pris ses distances avec le Kremlin. « Staline, le traître c'est toi ! » ose-t-il écrire, anéanti par l'ampleur de la réalité monstrueuse qu'il a voulu nier trop longtemps. Il est désormais l'homme à abattre. En juin 40, on le retrouvera pendu à un arbre quelque part en Isère, crime signé par les agents du fossoyeur rouge.
Ainsi périt Willi Münzenberg, le « nègre » de la Révolution, sur qui un film reste à faire. Ken Loach ou Guédiguian, peut-être ?
Chronique parue dans la « Charente Libre » le 20 février.