Bonheur de la lecture. La Table ronde réédite tout à point les quatre volumes des promenades primesautières de Raymond Dumay, auteur oublié, à travers la France des années 1950, au long des petites routes ombragées.
Je n'ai lu pour l'heure que l'un d'entre eux, Ma route d'Aquitaine dont émane le charme tissé de mélancolie de précieux vagabondages littéraires. Mort en 1999 à 83 ans, Raymond Dumay, homme du gai savoir, était journaliste à La Gazette des Lettres, un très bon hebdo culturel de l'après-guerre, romancier (son premier roman, L'Herbe pousse dans la prairie a été préfacé par Ramuz), essayiste (un fameux guide du vin) et promeneur armé d'une bonne fourchette. Enfourchant son vélomoteur plaisamment surnommé «Pégazou», il va faire connaissance dans les départements avec des poètes, des écrivains, des peintres, des artisans, des éditeurs, des érudits locaux. Les sens en éveil et l'œil qui pétille, sa route est faite de ces rencontres avec les vivants et les morts.
Sa tournée commence par Nantes aux riches souvenirs littéraires (Stendhal y a rencontré « une jeune fille de 20 ans avec un chapeau vert », et André Breton son mentor Jacques Vaché), se poursuit par la Vendée où il s'arrête chez Gaston Chaissac, le peintre rustique-moderne, touche-à-tout magnifique en train de se créer sa légende. A Fontenay-le-Comte et alentours, il retrouve les traces laissées par Rabelais et par Agrippa d'Aubigné. A Jarnac, en Charente, c'est chez mon père, le poète Pierre Boujut qu'il fait halte, à la nuit tombée.
« Je me suis plu, écrit-il, dans la compagnie de ce grand garçon de trente-cinq ans, au regard franc, au bon rire vigneron qui pendant plusieurs années de captivité n'eut pas de plus grand ami qu'un lézard. Il vit d'aplomb entre sa femme, son enfant et son métier de tonnelier. Comme directeur de revue (La Tour de Feu), je le soupçonne d'aimer autant les hommes que leur talent. » Dans un village voisin, Dumay va frapper au portail de Claude Roy, autre enfant du pays. En son absence, c'est son ami Roger Vailland qui vient lui ouvrir. « Je me suis attelé à un gros travail, lui dit-il. Une morale de l'immoralité. Ce n'est pas facile. » D'un même mouvement, notre voyageur rend visite aux grands disparus du terroir, Vigny au Maine-Giraud, Loti à Rochefort. D'une étape à l'autre, il dévore ce qu'il voit, il s'emballe de ce qu'il entend. Il gambade, il flemmarde dans des paysages qui l'enveloppent et le rafraîchissent. Il regarde le ciel de Saintonge, « frappé par la vivacité et l'ardeur de la lumière ». Les vignes lui paraissent « folâtres et légères », les chemins « sinueux comme des vipères entortillées ». Le soir, il a l'âme en paix, « à la recherche d'un hôtel encore éclairé, et laissant deviner l'omelette baveuse et le lit frais ». Il s'attarde à Angoulême, sur les traces de Balzac et des Illusions perdues. « La ville est étouffée par l'écrivain, elle est née et morte avec Lucien de Rubempré », note-t-il drôlement.
Plus tard, il arrivera sur les terres de Mauriac, à Malagar, après avoir salué Montaigne dans sa tour, comme il se doit, et Choderlos de Laclos, jadis en garnison à La Rochelle. Tout pour lui est ravissement de l'intelligence, de l'œil et des papilles. Il n'est jamais trop tard pour lire Dumay qui a le bonheur des mots au bout de la plume.
Michel BOUJUT
Ma route d'Aquitaine de Raymond Dumay, 278 pages, 16 euros. La Table ronde.