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Billet de blog 25 mai 2010

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Au revoir, les enfants

C'est un documentaire intitulé «La Chine est encore loin». Il a d'ailleurs mis du temps à nous parvenir, puisqu'il a été réalisé en 2008 par un cinéaste algérien vivant en France, Malek Bensmaïl. Il ne passe pas à Cannes, mais dans une seule salle à Paris, le Saint-André-des-Arts.

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C'est un documentaire intitulé «La Chine est encore loin». Il a d'ailleurs mis du temps à nous parvenir, puisqu'il a été réalisé en 2008 par un cinéaste algérien vivant en France, Malek Bensmaïl. Il ne passe pas à Cannes, mais dans une seule salle à Paris, le Saint-André-des-Arts.

Son titre se réfère à une injonction du Prophète : «Recherchez le savoir jusqu'en Chine, s'il le faut.» Le cœur de ce film magnifique se situe en effet dans une classe de l'école primaire de Ghassira, dans les Aurès, au pied de la chaîne du Rouffi. Là, très exactement, où le 1er novembre 1954 les Monnerot, un couple d'instituteurs français, furent abattus par un groupe armé de nationalistes –premières victimes civiles d'une guerre de sept ans qui mènera, comme on sait, l'Algérie à son indépendance.

Cinquante ans plus tard, Malek Bensmaïl débarque dans ce village kabyle devenu «le berceau de la révolution algérienne». Pendant toute une année, en «immersion», il a filmé avec beaucoup de respect et d'affection ses habitants, au fil des travaux et des jours, tissant la chronique de leur rude existence, sans fards et sans tabous. A partir du microcosme de cette école, il a su saisir la réalité complexe et douloureuse d'un pays comme pétrifié par son passé. L'Algérie profonde est là, et le mal qui la ronge, sa mémoire irréconciliée, le traumatisme de la colonisation et de la guerre, sa quête d'identité entre le pouvoir de l'armée et le poids de la religion.

En concurrence directe avec l'endoctrinement de l'école coranique à laquelle on ne peut se soustraire, l'instituteur apprend à ses élèves berbères l'arabe classique et le français qui fut «la langue de l'ennemi». Il leur enseigne aussi l'Histoire (officielle, bien sûr) qui exalte la résistance des moudjahidins face aux exactions de l'armée d'occupation. On suit les enfants en fin d'année scolaire en excursion au bord de la mer. Les garçons plongent dans les vagues, les filles restent sur le sable et échangent des recettes de pâtisserie, pour quand elles seront grandes (et cloîtrées). La seule femme présente à l'écran est celle qu'on a vu balayer la salle de classe, muette et endeuillée. A la fin, sa voix off s'élève: «Jamais je n'ai connu de tendresse.» Elle raconte son combat pour être elle-même, malgré le regard des autres, la surveillance et la suspicion.

Les anciens élèves de Guy Monnerot, l'instituteur d'autrefois, disent avoir pleuré à sa mort. Lors de l'inauguration d'une stèle commémorant les événements de la «Toussaint rouge» de 1954, un ancien combattant, lui, parle de bavure. D'autres figures apparaissent: le forgeron qui espère que son fils prendra sa suite à la forge. L'émigré de retour au pays qui s'indigne de l'abandon dans lequel on les laisse. Le temps semble immobile dans ce décor à la beauté austère. Gâchis et aliénation: le bonheur est encore loin.

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