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Billet de blog 27 décembre 2010

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Nonagénaires indomptables

Elle était «une vieille optimiste d'un âge dépassé», helléniste érudite, élue à l'Académie française en 1989. Lui, un artiste révolutionnaire, auteur d'un récit autobiographique intitulé «Tous les désespoirs sont permis». Ils sont morts le même jour. Jacqueline de Romilly avait 97 ans, Nico Papatakis, 92.

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Elle était «une vieille optimiste d'un âge dépassé», helléniste érudite, élue à l'Académie française en 1989. Lui, un artiste révolutionnaire, auteur d'un récit autobiographique intitulé «Tous les désespoirs sont permis». Ils sont morts le même jour. Jacqueline de Romilly avait 97 ans, Nico Papatakis, 92. Ces deux nonagénaires à la vie bien remplie auront été de ces «êtres bénéfiques» qui apportent à leurs contemporains leur lumière intérieure, leur appétit de connaissances et leur impératif de transmission. Au-delà de leurs différences, c'est le monde grec qui eût pu les rapprocher, la première s'étant faite le chantre du berceau athénien de la démocratie, le second, né de père grec (et de mère abyssine), un résistant à toutes les formes d'oppression.

A 18 ans, Nico combat les armes à la main les troupes de Mussolini qui viennent d'envahir l'Ethiopie d'Haïlé Sélassié, le roi des rois. Contraint à l'exil, il sera tour à tour valet de chambre en Grèce sous la dictature de Metaxas, modèle pour peintre, aventurier flamboyant. Arrivé en France en 1939, il ouvrira après la guerre le cabaret de Saint-Germain-des-Prés, la Rose rouge, où débutent Juliette Gréco, les Frères Jacques et Mouloudji et que fréquentent Sartre, Beauvoir, Boris Vian ou Camus. L'audacieux jeune homme à la saisissante beauté métis qui vient d'épouser Anouk Aimée se lance ensuite dans la production de films, notamment du Chant d'amour de Jean Genet, court métrage fiévreux et dérangeant (interdit pendant vingt-cinq ans par la censure) où s'exprime le désir d'un prisonnier pour un de ses compagnons de détention. «Genet avait une aura sulfureuse, raconte-t-il. J'étais obsédé par cet exemple du révolté créateur.» Jamais Papatakis ne pourra se défaire de l'influence de l'écrivain. Il s'inspirera de sa pièce les Bonnes pour réaliser son premier film sous le titre les Abysses, scandale de grande ampleur au festival de Cannes en 1963. L'histoire sanglante des sœurs Papin, servantes meurtrières de leurs employeurs, devenant une sorte d'allégorie de l'insurrection algérienne. L'intelligentsia parisienne prend la défense du cinéaste. «Même si mon film ne donne que l'envie de vomir ou de frapper, dit-il, je serai content. Ce qui compte, c'est de ne pas laisser dormir les gens dans

l'indolence...

Un autre nonagénaire, toujours bon pied, bon œil, se rappelle à notre bon souvenir avec un petit ouvrage de 30 pages qui affiche fièrement son titre-programme : Indignez-vous (1). Son auteur, Stéphane Hessel, 93 ans, ancien de la France libre, déporté à Buchenwald, corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Tirée à plus de 200 000 exemplaires, cette leçon d'indignation est aussi une leçon de vie. Pendant les fêtes, pas de trêve, restons indignés !

(1) Indigène éditions, 3 euros.

Chronique parue dans la « Charente Libre » du 25 décembre.

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