L'horizon, soudain, semble bien sombre pour un président qui a perdu la main, « carbonisé » par la foudre électorale et atteint au plus profond de son ego sur ses ergots. Sourd et aveugle, au demeurant.
Sur l'affiche du cirque présidentiel, Chantecler-Sarkozy succède à Sarkozy-Gribouille. Il n'avait que la politique du chiffre à la bouche – c'était son mot d'ordre et sa pratique du pouvoir. « Faire du chiffre », c'est ce qu'il voulait imposer à la nation tout entière. A commencer par son bras armé, ses policiers sommés de faire exploser dans les statistiques gardes à vue (arbitraires et innombrables) et contraventions (innombrables et arbitraires). Ceux-ci n'en peuvent plus et dénoncent le fonctionnement du « sarkomètre », ainsi qu'ils nomment plaisamment l'instrument de mesure de cette politique du chiffre. « Faire du chiffre » aussi, noble cause, avec les expulsés des charters de la honte. Retour du refoulé, le moins que l'on puisse dire, c'est que la culture du résultat chère à l'UMP se chiffre aujourd'hui par un zéro pointé. Bide absolu, tous ces ministres au tapis, exsangues c'est beau comme de l'antique, Delacroix eût pu en faire un tableau saisissant, genre Bérézina.
« L'Horizon », avec des guillemets, c'est celui – beaucoup plus ouvert et promesse de bonheur – du nouveau roman de Patrick Modiano qui paraît chez Gallimard. Rêve éveillé, incertitudes, regrets, remords, mélancolie, mystère : le Paris du début des années 60 sur lequel planent les remugles de la guerre d'Algérie, comme « une menace dans l'air ». Un livre de souvenirs « en forme de nuages flottants », comme il est écrit. Le personnage central est un écrivain qui s'appelle Bosmans, il ressemble comme un frère à Modiano. Il se demande pourquoi ce qu'il écrit est si « noir et étouffant ». Il est aujourd'hui à la recherche d'une jeune femme floue, Margaret Le Coz, dont il était amoureux il y a quarante ans. Il pense toujours à elle, fantôme insaisissable, à leur rencontre, à leurs promenades dans les rues ou à leurs longs trajets en métro. Il voudrait tant la retrouver.
Jamais, peut-être, l'écrivain ne s'était confié à ce point à ses lecteurs, leur chuchotant à l'oreille ses interrogations et ses doutes. « Un vertige le prenait à la pensée de ce qui aurait pu être, remarque-t-il, et qui n'avait pas été (...) Pourquoi avoir suivi ce chemin plutôt qu'un autre ? » Tout Modiano est là, dans cette question sans réponse qui est la matière même de ses romans en apesanteur. « De quel crime ou de quelle faute se sentait-il coupable ? » s'interroge plus loin Bosmans-Modiano. « Il avait l'air souvent de s'excuser, poursuit-il. De quoi au juste ? De vivre ? » Mais, juste après, et c'est tout l'art du moins solennel des écrivains, il précise qu'il éclate de rire à cette pensée.
« L'Horizon » à peine refermé, on n'a qu'une envie (pour en prolonger le vibrato si intense et léger à la fois), c'est de se promener dans le Paris modianesque et autres lieux, en empruntant les itinéraires de la petite topographie sentimentale de l'auteur. Sa musique n'a pas fini de nous tourner dans la tête. La littérature reste dispensatrice d'ivresse, pas encore la politique, hélas ! L'horizon, pourtant, semble s'éclairer.
Chronique parue dans la « Charente Libre », le 27 mars.