Tu me dis : Une véritable démocratie directe est possible par internet.
Ma réponse : Je ne le pense pas. Mes multiples tentatives de discussions par voie virtuelle se sont sans exception soldées par des échecs. Que ce soit au sein d’un groupe d’une cinquantaine de participants ou de quelques uns, et la même chose à deux.
On mesure ainsi combien il est indispensable, si l’on veut s’entendre, de se voir et de se connaître. Alors débattre par écrans interposés entre quelques millions d’individus, c’est à mon avis le déraillement assuré.
Une démocratie véritable serait-elle impraticable dans un pays comme le nôtre ? Dans l’état de régression où nous nous trouvons actuellement, je le pense. Il faudrait pour la réussir que chaque citoyen ait un minimum de culture historique et de conscience politique, ce que lui refusent à la fois les grands médias et système d’éducation, attachés les uns et les autres à formater les cerveaux, donc à mettre sur pied un apartheid intellectuel et culturel : d’un côté les esclaves (ou béta -), de plus en plus nombreux et privés de savoir, de l’autre les alpha +, de plus en plus éduqués et riches.
C’est la raison pour laquelle nous ne pourrons nous en tirer qu’en mettant à notre tête une assemblée de sages ayant de l’avenir de l’humanité une vision commune, autrement dit de gens ayant à cœur de faire passer, tant au niveau intérieur qu’au niveau international, le développement général avant celui de l’égoïsme et de la fortune de quelques uns. Ayant donc à cœur de s’atteler, loin de de la “loi naturelle“ qui veut que le plus fort écrase le faible (il s’agit là de barbarie prédatrice et non de civilisation), à la création d’une civilisation du partage. Laquelle civilisation nous est offerte déjà par l’automatisation des processus de fabrication, par l’informatique et par l’internet, nouveaux outils de l’humanité.
C’est là la conclusion à laquelle je suis arrivé lors de la rédaction d’un de mes derniers bouquins, Capitalisme, la chute et ensuite — cf. mon site : http://ouvragesmichelcornillon.jimdo.com/
Pour en revenir à cette assemblée chargée de nous tirer du bourbier en lequel nous nous enfonçons malgré nous, elle s’occuperait d’une part des relations et des échanges avec les autres nations, d’autre part des grands problèmes tels que la santé, l’éducation, l’énergie, les équilibres terrestres, le partage des richesses, etc. — cela sous la surveillance éclairée du peuple, qui pourrait la dissoudre en cas de dérapage.
Comment nommer cette assemblée, de qui la constituer, de quelle manière la surveiller ?…
Non par des élections auxquelles plus personne ce croit, mais par tirage au sort ?… Peut-être, mais je n’en suis pas sûr… Il serait nécessaire que nous en discutions, de préférence à tête reposée.
En tout cas, une fois en place, cette nouvelle forme de gouvernance n’aurait recours aux urnes, et donc à la démocratie, que lors de référendums sur des sujets de société. Cela durant une cinquantaine d’années, le temps que naisse un minimum de deux générations adultes.
Durant cette période, que nous nommerons d’éducation citoyenne, la démocratie s’appliquerait dans un premier temps à l’atelier et au village, ensuite à l’entreprise et à la ville, puis aux multinationales, aux régions, aux nations, enfin aux continents si les continentaux le souhaitent.
À ce sujet, remarquons que c’est une idée qu’a développée Alexandre Soljenitsyne lorsqu’il fut question, lors de l’enterrement de l’URSS, d’amener la Russie à un régime démocratique.
Et remarquons en même temps que la démocratie est un outil des plus fragiles. Qui en effet a-t-elle porté au pouvoir après la révolution de 1848 ? Napoléon III puis monsieur Thiers. Pareillement Hitler et sa bande en 1933. Quant à l’ex-URSS, sitôt délivrée de son stalinisme, elle a vu ses apparatchiks, en toute légalité, la dépouiller de ses richesses et se les accaparer.
Et puis, ne penses-tu pas, mon ami, que confier son destin à des gens de confiance durant quelques années permettrait de souffler, de réfléchir, de regarder autre chose que le champ de bataille en lequel on nous jette avec de plus en plus de cynisme ?
Si je regarde au fond de moi, j’ai plus envie de bâtir, de créer et de connaître mes semblables que de m’encombrer de politique politicienne.
Je dis : Permettons à qui le veut de s'enrichir au cours de son existence… Tu répliques : Au détriment de qui ?
Ma réponse : Tu comprendras sans doute, toi qui es un homme du peuple, comme moi situé plutôt à gauche, que le passage d’une société dominée par l’argent à une société au service des attentes humaines sous-entend une véritable révolution. Laquelle exigera des nationalisations (ou socialisations), donc la mise hors d’état de nuire du capitalisme, système ne pouvant régler les problèmes qui se posent à lui autrement que par le totalitarisme et la guerre — ce d’ailleurs à quoi il s’emploie en ce début de vingt-et-unième siècle.
De quelle manière l’enterrer, si ce n’est en lui interdisant d’accumuler les capitaux, en le coupant de ses sources, en supprimant les héritages de fortunes, de flottes aériennes et navales, de moyens de productions ?…
Seulement, Charles, sans perdre de vue le fait qu'elles règnent sur la police, l'armée et la justice, imagine le pataquès au sein des deux cents familles !
Alors généreusement, durant les cinquante ans de reconstruction démocratique de notre pays, telle que proposée ci-dessus, laissons à qui le veut la possibilité de s’enrichir dans la limite des lois. Et rassure-toi : lorsque tu sauras que l’héritier de “qui-le-veut“ ne touchera pas un centime de plus que celui de son esclave, toi et moi pourrons espérer que l’appât du gain, en cinquante ans, se sera transformé en une passion plus digne de l’être humain. Celle du partage par exemple.