“Syrie… Notre Dame…, la guerre de civilisations en action !”
Par Michel Coste, psycho-sociologue, consultant en stratégie internationale, ancien enseignant en Stratégie à l’université Lyon Claude Bernard.
Le cerveau humain aime la facilité et notamment la facilité des analyses ou idéologies binaires : exploiteurs-exploités, oppresseurs-opprimés, camps du bien-axe du mal, est-Ouest, capitalistes-communistes, occident-Sud global…
La réalité est plus complexe !
L’actualité nous montre que la géopolitique est l’objet d’une “guerre des civilisations” entre quatre blocs.
Un bloc est un groupe de pays ou un pays-puissance et ses satellites qui s'inscrit dans une logique de confrontation et d'extension de son rayonnement ou de son influence. Les blocs présentent chacun des forces et des faiblesses qui sont différentes pour chacun. Les forces sont, soit la puissance militaire, soit économique, soit nucléaire, soit idéologique (une idéologie capable de motiver des foules ou des minorités fanatisées).
L'expansionnisme ou l'impérialisme de ces blocs se matérialise donc par différentes méthodes :
- le rayonnement idéologique ou culturel, la religion, les valeurs.
- le rayonnement économique et l'intégration dans une zone de négoce privilégiée.
- la protection militaire et l'intégration à une accord de défense
- la conquête et la soumission militaire direct (Ukraine) ou par déstabilisation et manipulation (Chili, Géorgie...).
Les quatre forces en présence en 2024 sont l’Occident, la Russie, le monde islamique et la Chine. L'occupation ou la vassalisation n'est pas toujours le but final car la neutralisation peut être un état suffisant. Ce fut le cas de la Finlande, ce qui à donné l'expression de finlandisation comme synonyme de neutralisation lors qu'elle n'est pas totalement volontaire.
Les blocs ne sont pas exempt de fractures internes (rivalités Chine-URSS dans le bloc communisme ou antiaméricanisme dans le bloc occidental).
L’Occident est en recul. Il était à son apogée en 1990, au sortir de la guerre froide et perd de son influence économique, militaire et politique depuis 20 ans.
Une bascule s’est produite avec l’abandon de l’Afghanistan en 2021. L'armée, le commerce et l'idéologie de liberté na pas suffit à s'imposer face à une culture profondément encrée.
Il s’en est suivi une perte de confiance en Afrique au profit de la Russie. Ainsi qu’une prise de confiance de celle-ci conduisant au conflit en Ukraine.
Il s’appuie idéologiquement sur la démocratie, la liberté individuelle et l’économie de marché qui relèvent de l’aboutissement historique de la sociologie issue d’une culture judeo chretienne.
Le deuxième bloc c’est la Russie, pays faible économiquement (PNB situé entre ceux de l’Italie et l’Espagne) et relativement faible militairement comme en témoigne ses médiocres succès en Ukraine. Mais qui garde une capacité d’influence majeure grâce à son arsenal nucléaire et sa culture du sacrifice humain. Il s’appuie idéologiquement sur une culture orthodoxe et une histoire expansionniste depuis Pierre le grand.
Le troisième est la Chine dont la puissance repose sur une culture historique de domination (l’empire du Milieu) avec besoin de revanche depuis la guerre de l’opium, mi-XIXème, ainsi bien sûr, sur la domination économique du monde (la crise de la Covid a monté concrètement l’étendu de celle-ci).
Le quatrième bloc est le bloc islamique, faible militairement comparé aux autres, mais qui bénéficie de la puissance économique (les petromonarchies possèdent par exemple une part importante de la dette française et près d’un dixième de l’économie française, Immobillier de centre ville, palaces parisiens, Cac 40 et… le PSG !) avec la capacité de paralyser le monde grâce au pétrole (on a vu comment la dépendance au gaz russe a mis l’Allemagne à genoux). Mais aussi une idéologie issue d’une religion qui se veut aussi système politique et social qui prend de plus en plus d’influence (Sahel, Afghanistan, Syrie), y compris dans de nombreux pays dit modérés. On y constate que les mœurs évoluent progressivement notamment au détriment des femmes (Tunisie, Algérie, Egypte…). La lettre du texte sacré dans ses versions littérales et l’histoire de cette religion dénote une volonté d’expansion vers un “califat mondial” que revendique clairement les mouvements radicaux ou les dirigeants iraniens par exemple. Cette idéologie a pour capacité de mobiliser des populations et de fanatiser des franges activistes, ce qui n’est pas le cas des blocs plus structurés. Il n’y a pas de fanatiques du capitalisme occidental ou communisme de marché en Chine !
La limite à la puissance du bloc islamique (57 pays dont le plus important est l’Indonésie) c’est la fracture interne entre les chiites et les sunnites qui s’affrontent actuellement en Syrie où Al nostra est opposé au Hezbollah chiites. Cependant la réconciliation peut advenir comme le montre l’alliance entre l’Iran chiite et le Hamas sunnite. La pratique du terrorisme ainsi que l’immigration massive contribue à déstabiliser la cohésion nationale dans de nombreux pays européens par la poussée des radicalités.
La chute du régime iranien déstabilisé par la révolte des femmes, la défaite de ses proxies et la chute d’Assad peut se traduire par un retour vers comme par une influence saoudienne.
La Turquie se trouve à la frontière de trois blocs, intégrée à l’occident par son appartenance à lOTAN par méfiance face à la Russie, adversaire multi-séculaire mais aussi candidat au leadership sunnites dans une rivalité exacerbée avec l’Arabie saoudite.
Les autres membres des BRICS n’ont pas les caractéristiques de blocs civilisationnels combatifs. Soit ils n’ont pas la volonté, pas la tradition historique, pas d’idéologie messianique, soit pas la puissance militaire économique ou populaire pour agir de façon impériale.
L’actualité montre la pertinence de cette analyse, théorisée notamment par Samuel Huntington en 1996.
À Notre Dame samedi soir autour de Trump, étaient présents les principaux représentants de l’occident à l’exception de sa composante… orientale (Japon, Corée du Sud…).
Étaient particulièrement présents les pays sur la ligne de front avec le bloc Russe, au premier rang desquels les présidents ukrainien et géorgien mais aussi tous les Baltes et les Balkans.
En Syrie, le bloc islamique dans sa composante sunnite (soutien turc et quatari) viens d’infliger une défaite au bloc russe qui va vraisemblablement perdre ses bases stratégiques et s’en trouver déstabilisé par effet de dominos.
En effet tous les régimes, en Afrique notamment qui avaient switché une relation privilégiée avec la France au profit d’une affiliation russe via Wagner, vont de fait perdre confiance dans leur protecteur et vont regarder ailleurs…
La perte de la Syrie par la Russie, c’est l’équivalent de ce que serait la perte de l’Ukraine pour l’Occident, en terme d’influence en Afrique, au moyen orient et en Asie.
8 décembre 24, Michel Coste.