De nos jours, certaines institutions sont devenues trop décisives pour qu’on les supprime. Quand elles posent des problèmes, on les résout, comme les banques.
Ces derniers temps, le Conseil a censuré diverses dispositions législatives visant notamment à encadrer les manœuvres des grandes entreprises pour échapper aux impôts, et a limité l’impôt de solidarité sur la fortune.
En invoquant la « liberté »d’entreprendre dans le premier cas, et le « droit de propriété », dans le second. Deux dispositions de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, désormais intégrée dans notre Constitution, et qu’il interprète à sa manière.
Il importe donc de moderniser ce texte, rédigé avec les meilleures intentions du monde, mais il y a plus de deux cents ans, dans un univers économique qui a beaucoup changé.
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S’agissant du droit de propriété, le problème est simple. Nos élus ont démocratiquement instauré un impôt de solidarité sur la fortune. Le Conseil a considéré que passé un certain niveau, il devenait confiscatoire ; et donc violait le droit de la propriété. C’est pourquoi la première fortune de France n’a payé l’an dernier aucun impôt sur la fortune. Après quoi, les adversaires de cet impôt ont beau jeu de demander sa suppression, puisqu’il ne rapporte presque rien. Évidemment, si on s’interdit d’imposer réellement la fortune…
Mais c’est pourtant bien l’objet d’un impôt sur la fortune que d’en prendre une partie ; appelez cela une confiscation si vous voulez : c’est bien l’objet. S’il est plafonné à un certain pourcentage du revenu (75% actuellement, c’est le « bouclier fiscal »), c’est seulement un impôt sur le revenu ; ce n’est plus un impôt sur la fortune.
L’article invoqué est le dernier de la Déclaration :
« Art. 17. La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »
Il convient donc d’y ajouter la phrase :
« Passé un certain seuil, fixé par le législateur[1], la fortune doit contribuer aux charges communes selon les taux qu’il détermine. »[2]
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Quant à la prétendue « liberté d’entreprendre », elle ne figure ni dans la Déclaration, ni dans la Constitution. Le Conseil procède indûment à une interprétation extensive de l’article 4 :
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »
Le Conseil considère que forcer une entreprise à détailler son activité pays par pays ou à révéler ses montages d’évasion fiscale nuit à sa liberté, laquelle ne nuit pas à autrui. Il est vrai que l’évasion fiscale ne nuit pas à autrui en particulier, mais à tout le monde en général.
On pourrait aussi lui objecter que cet article parle des droits de chaque homme, et non des droits des sociétés commerciales. Malheureusement, des décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme ont étendu ces droits aux personnes morales[3], lesquelles pourtant ne sont pas des hommes, mais des choses.
Il convient donc d’en revenir à l’esprit initial du texte, en rajoutant la phrase :
« La Loi peut néanmoins limiter en tant que de besoin les droits et libertés des sociétés commerciales. »[4]
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Pour ma part, je voterai pour un candidat qui promettra solennellement de compléter ainsi notre Constitution[5] ; en y ajoutant bien sûr, pas voie simplement législative ou réglementaire, ma proposition de séquestrer les biens sans maître dont la situation en France peut laisser soupçonner un propriétaire français dissimulé[6] dans des paradis fiscaux.
Et pour aucun autre candidat[7].
Bien entendu, il devra aussi promettre solennellement de compléter l’article 5 de la Constitution, en y ajoutant la phrase :
« Un Président de la République qui manquerait, dans l’année de son élection, à une promesse solennelle, sera automatiquement déchu de ses fonctions par le Parlement réuni à cet effet en Congrès. »
Avec ces premières mesures, élémentaires et faciles à réaliser, la France recommencerait à ressembler à une démocratie…
[1] Actuellement, 1,3 millions d’euros, plafond qui gagnerait à être relevé, si on veut vraiment taxer les grandes fortunes, et pas le propriétaire immobilier dont le bien a pris de la valeur à cause d’un marché immobilier trop spéculatif, comme à Paris ou à l’île de Ré, ce qui est effectivement injuste.
[2] Conformément à l’article 13 de la Déclaration, seraient pareillement imposés tous les citoyens français, y compris les déserteurs fiscaux qui prétendraient échapper à l’impôt en s’expatriant. Les citoyens états-uniens qui s’expatrient continuent à payer des impôts au fisc américain. Les États-Unis se sont donné les moyens de s’en assurer, eux qu’on dit si libéraux et anti-fiscaux…
[3] Sic ! Elles ne sont ni des personnes, ni morales.
[4] La Cour européenne sera saisie d’éventuels litiges, et la France pourra être condamnée. Il ne faudra tenir aucun compte de telles condamnations. Au besoin, il faudra dénoncer une Convention qui donne autant de droits à des choses qu’aux Hommes, ou obtenir sa modification sur ce point essentiel. Du reste, nos lois interdisent déjà aux entreprises de financer les campagnes électorales, ce qu’aucune entreprise n’a osé contester.
[5] Et je ne me contenterai pas des sempiternelles déclarations vaines du style : « La France sera à l’avant-garde des efforts de l’Union européenne et de l’OCDE pour lutter contre les paradis fiscaux et instaurer l’échange des données fiscales entre autorités fiscales des différents pays ». Nous ne vivons pas dans un monde de coopération fiscale, mais dans un monde de concurrence fiscale croissante, y compris en Europe. C’est donc un préliminaire indispensable et urgent de commencer par mettre de l’ordre chez nous, sans attendre d’improbables accords internationaux impossibles à mettre en œuvre et encore plus impossibles à contrôler. Quant à des phrases aussi vagues que : « mon adversaire, c’est le monde de la finance », on a vu qu’elles n’engageaient pas à grand-chose…
[6] Voir mon billet du 14 septembre sur Mediapart.
[7] Un État qui renonce aux moyens de définir et de recouvrer sa fiscalité renonce aux fondements de sa souveraineté. Ce n’est plus une État. Pire encore, ce n’est plus une démocratie.