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Billet de blog 4 février 2017

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L’avenir de la France est-il entre les mains d’une fonctionnaire ?

Non.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le détournement de fonds publics est défini et réprimé par l’article 432-15 du code pénal :

Le fait, par … un dépositaire public … de … détourner … des fonds publics… qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d'emprisonnement et d'une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit de l'infraction[1].

Le Parlement a confié à M. Fillon des fonds publics à seule fin de rémunérer ses assistants parlementaires.

M. Fillon affirme avoir rémunéré son épouse comme assistante parlementaire.

Or personne ne semble avoir eu conscience de cette fonction et voilà qu’apparaît un témoignage filmé de l’intéressée disant en 2007 qu’elle n’avait participé que très marginalement aux activités politiques de son mari.

Il y a là contradiction apparente et doute légitime qui appellent une enquête préliminaire, laquelle est en cours ; elle est très rapide, ce qui convient au principal intéressé. Si, à l’issue de cette enquête, des faits « graves et concordants » sont mis en évidence, la mise en examen s’impose. À défaut, on pourrait en conclure que les politiques sont au-dessus des lois et hors d’atteinte de la justice.

Si M. Fillon est mis en examen, son avocat pourra soulever une Question Prioritaire de Constitutionnalité au motif de la séparation des pouvoirs. Si cette question lui est transmise par la cour de cassation et si le Conseil constitutionnel lui donne raison[2], cela mettra fin à l’instance sur ce chef d’accusation.

Mais il ne revient pas au procureur de décider s’il empiète ou non sur le pouvoir législatif : c’est au Conseil qu’il échoit d’en décider éventuellement.

Et il appartiendra le moment venu au seul procureur de la République financier de décider de la mise en examen du suspect.

Doit-il y avoir tempête sous son crâne : « si je mets M. Fillon en examen, il retirera sa candidature, et moi, fonctionnaire[3], j’aurai ainsi changé le sort de mon pays pour les cinq prochaines années » ?

Nullement.

La décision de mise en examen lui appartient[4] sans qu’elle puisse recevoir d’instructions à ce sujet, et ne préjuge pas de l’innocence des suspects. Pour le dire autrement, leur présomption d’innocence reste entière.

Si M. Fillon retire alors sa candidature, cette décision-là lui appartient, et ne résulte pas nécessairement de la décision du procureur.

Il pourra revenir sur sa décision, rester candidat, être élu, et rester Président dans l’attente de son jugement, qui, dans l’état actuel des textes[5], ne pourra intervenir qu’après la fin de sa présidence ; ou de l’éventuelle décision du Conseil, qui interviendrait bien plus vite[6].

Du reste, c’est au procureur d’apporter les preuves de ses accusations. Et comme il n’y a pas de définition juridique du travail que doit accomplir un assistant parlementaire, M. Fillon a de bonnes chances d’être relaxé par la justice[7].

Quel soulagement pour lui, son suppléant, sa famille et pour les autres parlementaires, soulagement, que, j’en suis sûr, il souhaite vivement leur apporter ! Ils sauront enfin clairement ce qui est interdit et ce qui est permis…


[1] Le maire de Paris Chirac Jacques a été condamné en décembre 2011 à deux ans de prison avec sursis entre autres pour détournement de fonds publics comme ordonnateur de fonds versés à des personnes qu’il avait qualifiées d’employées de la mairie alors qu’elles étaient en fait employées du RPR.

[2] le Conseil devrait pour cela trouver dans la constitution une disposition lui permettant de censurer l’article du code pénal qui définit le détournement de fonds publics, ce qui serait une révolution juridique lourde de conséquences. Ou considérer qu’il ne s’applique pas aux personnes investies d'un mandat électif public, contrairement à plusieurs articles voisins du code pénal : 432-3, -11 et -12 : il faudrait alors rajouter cette mention dans l’article qui vise le détournement de fonds publics.

[3] Le procureur, en France, n'est pas une autorité judiciaire indépendante, a estimé, le 23 novembre 2010, la Cour européenne des droits de l'homme. Néanmoins, Madame Houlette a jusqu’ici fait preuve d’une grande indépendance, par exemple en requérant trois ans de prison ferme contre M. Cahuzac.

[4] Elle donnera lieu à des appréciations politiques et morales. Mais seul compte ici  l’aspect juridique de la décision.

[5] "Je ferai voter par le parlement cette réforme du statut pénal du chef de l'Etat qui évitera" qu'il "faille attendre dix, quinze, vingt ans pour que procès ait lieu sur des faits qui n'avaient rien à voir avec l'exercice de la fonction présidentielle", a déclaré François Hollande suite au procès tardif de M. Chirac. "Je considère qu'un président entré en fonctions doit être responsable des faits qui ont pu être commis avant le choix des Français pour l'élire président. Il doit être un citoyen comme les autres", a-t-il déclaré à France Inter. "Moi, président de la République, j’aurai aussi à cœur de ne pas avoir de statut pénal du chef de l’Etat : je le ferai réformer, de façon à ce que si des actes antérieurs à ma prise de fonction venaient à être contestés je puisse dans certaines conditions me rendre à la convocation de tel ou tel magistrat ou m’expliquer devant un certain nombre d’instances."  a-t-il déclaré publiquement à son rival. J’ai cherché en vain cette réforme du statut pénal du chef de l’État…

[6] Mais pas forcément avant l’élection présidentielle.

[7] On pourrait m’objecter que, dans ce cas, pourquoi une action judiciaire ? Parce que, n’ayant ni les compétences juridiques, ni les éléments du dossier, ce n’est pas à moi de juger des mérites de la défense de M. Fillon, c’est à la Justice ; et peut-être que le tribunal jugera aussi du montant de son salaire, rapporté à l’intensité de son activité. Par ailleurs, la mise en cause pour abus de biens sociaux et recel ne semble pas concerner directement M. Fillon, mais, là encore, au tribunal d’en juger.

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