Aux États-Unis, plus d’un million d’ex-étudiants ont fait défaut sur leur prêt en 2016[1], ce qui a porté le stock total de prêts étudiants en défaut à plus de 4 millions, soit 10% des 40 millions d’étudiants emprunteurs, une augmentation de 17% sur l’année précédente[2], et ceci rien que sur les prêts faits par le programme public fédéral.
Les diplômés ne trouvent plus d’emplois assez bien payés pour rentabiliser leurs diplômes ; si tant est qu’ils aient réussi leurs examens, et que leur diplôme vaille effectivement quelque chose, ce qui n’est pas toujours le cas. Ceci alors qu’il y a une reprise économique aux États-Unis, et prétendument un chômage réduit au minimum. Et alors que le montant moyen de ce qu’il reste à rembourser aux étudiants est de moins à 30 000 dollars (un montant qui a néanmoins presque doublé par rapport à 2004, et qui ne cesse d’augmenter) ; soit environ 30 000 euros, une somme relativement réduite qu’ils pourraient rembourser aisément s’ils avaient un emploi bien payé. En même temps, les droits d’inscription dans les universités publiques et les écoles privées augmentent bien plus vite que l’inflation. Pire encore, ceux qui ne trouvent pas de travail reprennent un nouveau prêt pour avoir encore davantage de diplômes, retardent leur mariage, louent leur voiture et leur appartement, et recourent au travail précaire ou ubérisé…
On voit ici le caractère intrinsèquement anti-égalitaire du néolibéralisme. Les enfants de riches n’ont pas besoin de prêts étudiants. Les enfants de pauvres non plus : c’est de bourses qu’ils ont besoin. Faute de bourses, un prêt étudiant peut hypothéquer leur vie pendant des décennies, au lieu des dix ans prévus initialement. Les lois font qu’il est virtuellement impossible d’en sortir par une procédure de faillite personnelle : on les traîne sa vie entière, les intérêts s’accumulent avec les retards de paiement, et des retraités sont encore en train de finir de rembourser !
Le total des sommes dues est passé à 1 300 milliards de dollars[3], en hausse de 16% par rapport à 2013 et de 170% par rapport à 2006, au point que même la banque centrale de New-York s’en inquiète publiquement[4]. Les saisies-arrêts portent alors sur les salaires des mauvais payeurs, leurs avoirs fiscaux et même sur leurs remboursements de sécurité sociale : le gouvernement a ainsi récupéré 160 millions de dollars au dernier trimestre 2016. Pendant ce temps-là, les officines des prêts étudiants continue à s’enrichir, ainsi que les agences de recouvrement pour le compte de l’État. S’y ajoutent les prêts privés, faits par exemple par Sallie Mae, privatisée, qui a 3,6 millions d’emprunteurs, et titrise ses prêts en tranches de risques différents. Les prêts privés différent des prêts publics en ce qu’ils sont plus chers pour les pauvres.
On voit ici la logique intrinsèquement contre-productive, perverse et stupide du néolibéralisme. Plus l’étudiant est pauvre, plus le prêt est risqué, donc on ajoute au taux du prêt une prime de risque qui le renchérit, donc son risque de ne pas être remboursé augmente d’autant. Voilà une branche de la finance néolibérale qui ruine tranquillement 10% de sa clientèle… De quelle autre activité que la finance accepterait-on un tel comportement ?
La gravité de la crise des subprime de 2007 a été amplifiée par leur titrisation, qui vise aussi prêts étudiants[5] : les Student Loan Asset-Backed Securities. La différence est qu’avec l’immobilier, le prêteur peut se rattraper partiellement en saisissant et vendant la maison, alors que sur un diplômé serveur chez MacDo, il n’y a pas grand-chose à récupérer…
M. Obama ne risque plus rien : il a fini de rembourser son propre prêt étudiant en 2015. En 2010, il a remplacé le Federal Family Education Loan Program qui subventionnait et réassurait les prêts privés par des prêts fédéraux directs. Depuis, les banques de Wall Street ne veulent plus les titriser parce que cela ne rapporte plus assez, du fait aussi de la baisse des taux ; mais Sallie Mae et des plates-formes informatiques s’en chargent, notamment celles qui mettent directement en relation prêteurs privés et emprunteurs. Ce changement n’a porté au marché qu’un coup d’arrêt momentané : il est reparti de plus belle. Mais le taux de défaut est de 10% pour les prêts privés comme pour les prêts publics. Et la titrisation des prêts privés a augmenté de 145% en 2015[6].
Les crédits automobiles aussi sont titrisés. Leur marché se développe rapidement grâce aux taux bas, la concurrence s’intensifie, on prête à des gens qui ont des mauvais scores de crédit, voire pas de score du tout, on empaquette le tout, on le titrise, puis les agences de notation mettent la meilleurs notes comme naguère[7], et on vend les titres à des investisseurs aveugles et amnésiques. Ce sont 100 milliards de dollars titrisés en 2015, mais le taux de défaut[8] recommence à augmenter sensiblement, vers 5%. Y inclus un compartiment auto subprime, et même un compartiment deep subrime, les prêts vraiment mauvais, qui font un tiers du compartiment subprime.
Et l’immobilier reprend progressivement ses mauvaises habitudes : 7% des propriétaires immobilier américains sont « sous l’eau » : la valeur de leur bien est inférieure au montant restant dû du prêt[9]. Là encore, de nouveaux venus, dédaigneusement appelés « banquiers de l’ombre », ont pris une part notable du marché : 38% ; et des plates-formes de crédit en ligne permettent de s’endetter en quelques clics[10]. Mais les taux de défaut de ces nouveaux acteurs ne sont pas meilleurs que ceux des prêteurs installés, et la titrisation de prêts immobiliers subprime ne passant pas par les trois grandes agences nationales[11] a augmenté de 220% en 2015.
Pour survivre, les emprunteurs sous l’eau et ceux qui ont juste le nez hors de l’eau tirent sur leurs cartes de crédit. Et les crédits sur cartes sont titrisés aussi[12], et, là encore, sans garantie collatérale, de sorte que leur taux de défauts, 8,4% en 2015, vient en second après les prêts étudiants (11,1%)[13].
En 2015, derniers chiffes disponibles[14], les émissions de prêts titrisés ont augmenté de 20% à 1 900 milliards de dollars, une augmentation entièrement[15] due aux prêts immobiliers ; le stock total est remonté à 10 000 milliards de dollars (dont, pour la part de 3 800 milliards hors les trois agences, 1 003 milliards notés BBB ou moins, ou pas notés du tout, soit plus du quart). On n’est pas encore aux 11 000 milliards pré-crise de 2007, mais on y va tout droit, et ils ont probablement été atteints en 2016, sinon en 2017.
La titrisation permet de refiler les prêts risqués à des investisseurs obnubilés par le rendement à court terme, et de recommencer à prêter en prenant plus de risques. Certes, la tranche la plus risquée rapporte un rendement supérieur, censé couvrir le risque plus grand : seul l’avenir dira à l’investisseur s’il rentre dans ses frais. Mais le marché du crédit solvable est limité : la seule manière de l’étendre est de prêter à des emprunteurs de moins en moins solvables. Ainsi fonctionne derechef la vis sans fin de l’endettement illimité. Et c’est cette pompe à dettes aspirante que la Commission européenne veut à toute force développer en Europe.
Certes, de nouvelles règles ont été mises en place, comme la règle Dodd-Franck demandant à l’émetteur de garder 5% du risque (voire moins, s’il estime que le risque est faible). 5% c’est bien peu. Et M. Trump n’a-t-il pas dit qu’il voulait abolir la loi Dodd-Franck ?
[1] MarketWatch, 19 mars 2017.
[2] Rohit Chopra, the Consumer Federal of America.
[3] Neuf dixièmes de prêts publics et 7,5% de prêts privés.
[4] https://www.ft.com/content/4b2e99f8-18ac-11e7-a53d-df09f373be87?segmentId=6a1a31f2-ec14-36da-2cf9-65bc949587d6
[5] Jack Du | August 18, 2015 ; Student Loan Asset-Backed Securities: Safe or Subprime? | Investopedia ;http://www.investopedia.com/articles/investing/081815/student-loan-assetbacked-securities-safe-or-subprime.asp#ixzz4d0xMucMl
[6] http://www.sifma.org/research/item.aspx?id=8589959616
[7] Cette fois plus Fitch et Moody’s, mais leurs concurrentes, désireuses de leur prendre des parts de marché…
[8] À présent les prêteurs mettent un bloqueur télécommandé sur le véhicule ; si vous ne remboursez pas, ils le stoppent à distance, parfois au milieu de la route : on n’arrête pas le progrès !
[9] Chuck Collins (http://www.ips-dc.org/authors/chuck-collins/), March 23, 2017.
[10] Elsa Conesa (https://www.lesechos.fr/journalistes/index.php?id=240)
[11] La notation des obligations titrisées par les 3 grandes agences (Fannie Mae, Freddie Mac et Ginnie Mae) n’est pas publiée.
[12] C’est par exemple le cas de 50% des crédits cartes de Citibank, qui a recours à toutes les combines sophistiquées : rehaussement de crédit, titrisation en devises étrangères (ça, c’est pour les non-américains, qui portent en plus le risque de change), de-linked Subordinated securities(qui n’ont pas du tout l’air déliées…), et le plus risqué : single-seller commercial paper (CP) program. Ces titres sont émis par un véhicule spécial qui a actuellement 27 milliards de dollars de dettes… Mais Citigroup n’a pas émis en 2015, une des deux causes de la baisse du stock titrisé à 128 milliards de dollars.
[13] http://www.urban.org/sites/default/files/publication/65901/2000375-The-Rebirth-of-Securitization.pdf
[14] http://www.sifma.org/research/item.aspx?id=8589959616
[15] Les hausses des titrisations auto et étudiants ont été compensées par la baisse provisoire des titrisations de cartes de crédit.