Le 1er clou a été enfoncé à grands coups de marteau par le nouveau commissaire européen aux services financiers Dombrowskis le 29 septembre, s’opposant publiquement à la proposition du comité de Bâle de limiter la capacité des banques de minimiser les capitaux nécessaires pour faire face aux risques qu’elles prennent ; si cette réglementation internationale est adoptée, elle sera refusée par l’Union européenne. Aucun de nos dirigeants élus n’a élevé d’objection à cet abandon de souveraineté en rase campagne, dicté par la volonté des banques européennes de gagner plus d’argent avec moins d’argent en prenant plus de risques. Nos États européens ne pourront qu’assister avec impuissance au truquage systématique des comptes de nos grandes banques, et aux crises qui en résulteront.
Le 2ème clou a été enfoncé publiquement par le parlement européen en séance plénière le 5 octobre : il a voté à la majorité des 2/3 contre un amendement proposant une réorientation des politiques fiscales internationales visant à taxer moins le travail et plus les ressources, désinvestir des combustibles fossiles, un prix adéquat du carbone, et la due comptabilisation des externalités négatives. Nos États européens ne pourront qu’assister avec impuissance à la disparition rapide des ressources naturelles et aux multiples pollutions qui en résultent.
Le 3ème clou sera enfoncé discrètement lundi 10 octobre : 10 ministres des finances européens constateront une fois de plus qu’ils ne sont pas d’accord sur l’utilité, la portée, les modalités d’une taxe sur les transactions financières qu’ils négocient en vain de puis des années. Nos États européens ne pourront qu’assister avec impuissance à la frénésie spéculative de nos établissements financiers qui échangent fictivement des milliards d’euros par seconde et envoient des bordées d’ordres de bourse fictifs pour manipuler les marchés financiers, sans payer ni impôts ni amendes, ni jamais rendre des comptes, nos superviseurs nationaux ayant renoncé depuis des années à superviser ces Himalayas de manipulations : le superviseur de Londres, où cela se passe, a même refusé de recevoir copie des transactions ! La taxe freinerait ces parties de bonneteau truquées et rapporterait de l’argent à nos États endettés.
Le 4ème clou sera enfoncé discrètement par le comité économique et monétaire du parlement européen qui discutera le 11 octobre de la mise en place dans l’Union d’un vaste marché de la titrisation des créances bancaires, exactement le mécanisme qui a transformé la crise locale des subprime en crise financière mondiale : ces prêts seront à nouveau découpés en tranches, regroupés, affublés de bonnes notes par les agences de notation, retransformés en titres synthétiques et dérivés très profitables et achetés d’autant plus volontiers par les investisseurs qu’ils n’y comprennent rien. Nos États européens ne pourront ensuite qu’assister avec impuissance à l’inévitable explosion des bulles financières ainsi créées, et venir une fois de plus au secours de leurs établissements de crédit en faillite, s’ils en ont encore les moyens.
Le 5ème clou, le clou du spectacle, sera enfoncé en fanfare le 27 octobre par l’adoption unanime d’un accord économique général entre l’Europe et le Canada (CETA), avec application immédiate. Notre gouvernement fait, à l’approche des élections, semblant de s’opposer à un accord analogue avec les États-Unis (TAFTA ou TTIP, bien qu’il n’en ait ni le pouvoir ni vraiment l’intention), mais va approuver pleinement l’accord canadien, très semblable.
Les inconvénients du CETA pour nos citoyens, nos producteurs, nos consommateurs, nos services publics et notre souveraineté sont trop nombreux pour être énumérés ici.
En pratique, il va s’avérer bien pire que le TAFTA, que les Américains n’auront même plus intérêt à signer, et ne signeront pas. En effet, il donne le pas aux multinationales étrangères sur nos États démocratiques et souverains[1] : s’ils changent une règle quelconque et ainsi diminuent les profits escomptés d’un investisseur canadien, ils devront lui rembourser la différence sous forme de dommages et intérêts ; ou renoncer à changer la règle.
Or 80% des multinationales étasuniennes ont plus de 40000 filiales au Canada, qui opèrent ou opéreront aussi en Europe. Elles pourront donc se faire dédommager de tout ce que nous ferons qui diminuera leurs profits en Europe, profits actuels ou escomptés.
Après quoi, la reine d’Angleterre, chef de l’État du Canada, signera avec plaisir un traité identique entre le Royaume-Uni et l’Europe restante, que nous serons bien en peine de lui refuser, et qui donnera aux multinationales installées à Londres, britanniques ou mondiales, les mêmes droits et pouvoirs sur nous, bien plus qu’elles n’en ont actuellement. Le Brexit, vraiment une bonne affaire !
Inversement, nos multinationales européennes, installées ou pas au Canada, ne disposeront pas d’un traité leur donnant les mêmes droits aux États-Unis. Tous les droits pour les multinationales nord-américaines, aucun pour les nôtres.
Nos États européens ne pourront ensuite qu’assister avec impuissance à notre incapacité française et européenne à améliorer nos services et nos lois, sauf à dédommager les profits attendus, encore et toujours, si nous en avons encore les moyens.
Nos dirigeants démocratiquement élus renoncent à nos dernières souverainetés, les unes après les autres, à un rythme accéléré.
Nos États européens sont-ils encore des démocraties ?
Le pouvoir au peuple, mais quels pouvoirs reste-t-il ?
[1]Cette disposition a été adoptée malgré l’avis réservé de l’Évaluation officielle de l'impact du commerce sur le développement durable du 15 septembre 2011 demandée par la Commission européenne. Cette dernière ne tient généralement compte des études d’impact qu’elle est obligée de commander que quand elles vont dans son sens.