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Billet de blog 10 janvier 2017

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Que valent désormais les obligations bancaires ?

La prochaine crise bancaire nous le dira…

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Après des négociations longues et difficiles, d’autant plus âpres qu’elles mettaient en cause des intérêts financiers considérables, l’Union européenne a fini par adopter la directive résolution des banques.

 En effet, les banques et autres institutions financières ne sont pas des sociétés de capitaux ordinaires qu’on peut simplement mettre en liquidation en cas de problème.  Vu les quantités de monnaie qu’elles créent et manipulent à leur gré, ce sont des problèmes qu’il faut résoudre, faute de quoi c’est l’ensemble de l’économie, et donc de la société qui s’effondre.

 Obligée de transposer cette directive, la France l’a fait avec discrétion par une ordonnance touffue et très technique, mi-août 2015, et les journaux financiers en ont à peine parlé.

 Si on pouvait se dire jusqu’à présent que jamais les pouvoirs publics ne laisseront nos grandes banques ou nos entreprises d’investissement faire faillite, et qu’ils viendront les renflouer avec des fonds publics, cet argument a cessé de protéger les créanciers obligataires depuis cette ordonnance du 20 août 2015. Désormais le renflouement public, dit externe, sera obligatoirement précédé par un renflouement dit interne, qui mettra à contribution les actionnaires et créanciers obligataires, ceci dans des délais et des proportions laissés à la seule appréciation des instances de résolution, française et européennes, au terme d’une décision non plus judiciaire mais administrative. Mais pas les déposants, protégés jusqu’à 100 000 euros, du moins en principe[1]. C’est un risque pour les créanciers obligataires, mais une bonne nouvelle pour les fonds publics, qui seront d’autant moins sollicités (sauf en Italie[2], bien sûr).

 Le collège de résolution est dispensé de l’obligation d’obtenir l’autorisation ou l’accord de toute autorité publique ou de toute personne privée que l’opération envisagée aurait nécessitée si elle avait été réalisée en dehors d’une procédure de résolution.

 L’espérance de récupérer sa créance lors d’une procédure ultérieure se verrait opposer une inopposabilité de principe : « Lorsque le collège de résolution réduit à zéro le principal ou les sommes dues au titre d’un élément de passif, cet élément de passif… est réputé éteint en capital et intérêts et ne peut être opposable dans quelque procédure ultérieure … ». En clair, vos obligations bancaires peuvent, du jour au lendemain, ne plus rien valoir, et vous n’y pourrez rien, que vous les déteniez en direct ou via un gestionnaire d’actifs ou une société d’assurance.

 Certes, l’ordonnance comporte un paragraphe relatif au « respect des droits de recours », mais sa rédaction ne confère aucun droit nouveau aux requérants. Simplement, l’ordonnance  prévoit une expertise pour déterminer quel aurait été le sort des créanciers en cas de liquidation judiciaire, mais l’appréciation du juge sera « fondée sur les évaluations économiques complexes[3] des faits réalisées par le collège de résolution. » En d’autres termes, le juge se voit ordonner de tenir plus compte des motivations du collège de résolution que des dires de l’expert.

 Tant mieux. Voilà les finances publiques déchargées à juste titre, au moins en partie, de coûteux sauvetages bancaires. Il faudra que les créanciers des banques finissent par apprendre, à leurs dépens, à évaluer par eux-mêmes les risques qu’ils font courir à leur argent ; ou, plus regrettablement, à l’argent qui leur a été confié[4].

 Les marchés financiers ont tardé à prendre ce risque en compte, puis commencé à s’inquiéter légèrement début 2016. En Europe, des émissions d’obligations plus ou moins menacées par une éventuelle résolution ont eu lieu, et n’ont donné lieu, en termes de taux d’intérêt à payer, qu’à des surcoûts minimes pour les grandes banques émettrices.

 La prochaine résolution bancaire, si elle a réellement lieu au niveau européen (et pas en Italie, Grèce, Portugal ni à Chypre, pays qui ont une réelle capacité à interpréter la directive à leur manière, autrement dit à n’en tenir aucun compte…)[5] permettra de savoir si les marchés ont raison et si cette directive n’est qu’un chiffon de papier ; ou bien s’il est devenu politiquement possible de faire payer aux investisseurs négligents[6] les conséquences de leurs inconséquences

 Comme je l’ai expliqué dans mon billet sur la sainte trinité bancaire européenne, la résolutions bancaire unique est censée être le deuxième pilier du projet européen d’Union bancaire, qui relaie l’échec du premier pilier, la supervision unique, et risque d’entraîner, s’il échoue à son tour, l’échec du troisième pilier, la garantie européenne des comptes bancaires, dont la gestation difficile se compte en années et non en mois…

[1] Principe tout théorique, comme on l’a vu dans mon précédent billet.

[2] La commedia dell’arte qui se joue actuellement entre Francfort, Rome, Berlin et Bruxelles à propos de la banque de Sienne et d’une dizaine d’autres banques en difficulté appelle un article à elle toute seule, mais comme elle n’est pas finie, attendons… On compte déjà un suicide en Italie, ruiné par ces nouvelles règles, qu’il a donc été décidé d’ignorer pour sauver la Banque de Sienne avec des fonds publics plutôt que privés.

[3] Adjectif tout à fait inusité dans un texte législatif. Il a un rôle d’intimidation : « vous autres magistrats ne comprenez rien à ces questions techniques qui vous dépassent : ne vous avisez pas de les contester ». Une dépossession de notre Justice qui tend à se manifester de bien d’autres manières…

[4] Récemment, un gestionnaire d’actifs qui avait acheté des obligations bancaires italiennes pleurnichait : ce n’est pas lui qu’on allait punir, mais ses petits clients ; il n’a plus qu’à leur expliquer pourquoi il a pensé judicieux de prendre ce risque…

[5] La loi dite Sapin 2 permet au gouvernement de créer par ordonnance une nouvelle catégorie d’émissions obligataires « non préférentielles » qui viendrait s’intercaler entre les obligations junior, dévaluées en premier, et les obligations senior, dévaluées en dernier, ajoutant ainsi un étage à un château de cartes déjà fragile. Bienvenue au club à ce nouveau gadget technocratique, déjà surnommé obligations adolescentes : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

[6] Les textes officiels européens tentent une claire distinction entre les investisseurs amateurs, qu’il faut faire mine de protéger de toutes les manières les plus compliquées (et, en pratique, inefficaces) possibles (mais le renvoi à plus tard des textes d’application des directives et règlements censés les protéger montrent que plus c’est compliqué, plus c’est difficile) ; et les investisseurs professionnels, censés être avisés, avertis, sages et prudents. Mille anecdotes montrent que les uns comme les autres ne sont que des hommes, sujets à l’erreur et à la tromperie, et se trompent ou se laissent tromper tout aussi souvent.

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