Les marchés sont les vaisseaux sanguins de nos sociétés, mais leur cerveau est le capitalisme, leur cerveau reptilien : c’est la finance qui finance, donc qui décide pour son seul avantage.
Le capitalisme se concentre entre les mains d’un petit nombre de décideurs, les dirigeants et les principaux actionnaires des grandes sociétés multinationales et des medias.
S’agissant non seulement de capter des profits, mais aussi des influences et des pouvoirs, ces dirigeants ne peuvent se contenter d’être de simples acteurs de marchés, position trop précaire et aléatoire. Ils agissent hors marché, dans des rapports de force internes et externes à leurs entreprises, et influencent les politiques, les réglementations et les autres acteurs.
Les financiers influencent les États qui leur octroient et garantissent, par des traités, des lois et des institutions publiques le pouvoir de disposer à leur gré de leur capital : le placer, le dé-placer, et jouir sans entraves du droit de diriger les entreprises à leur gré ; commencer, développer ou arrêter une activité économique, et décider de toutes ses modalités : où, quand, comment, et avec qui ; embaucher ou licencier à loisir. C’est un système politique qui gouverne ou influence les citoyens en relation avec l’entreprise : salariés, sous-traitants, créanciers, clients, journalistes, dirigeants politiques influencés, corrompus ou non. Ces pouvoirs ne sont pas pris en compte par la pseudo-théorie des marchés.
Le moteur du capitalisme estle profit. Il crée sans cesse des produits nouveaux. Actuellement, les progrès techniques et organisationnels permettent des rendements croissant fortement avec les quantités produites, ce qui invalide la théorie néo-classique de l’équilibre général et le credo néo-libéral sur les bienfaits de la concurrence. Avec des rendements croissants, il n’y a pas d’équilibre de marché concurrentiel, mais des monopoles : le gagnant rafle la mise et élimine ses concurrents.
Le capitaliste financier trône au sommet de la chaîne alimentaire : il préfinance les investissements, dicte ses conditions. Il fait varier les « prix de marché » au fil de ses spéculations. Étant des marchés de stocks et non de flux, les marchés financiers n’obéissent pas à la prétendue « loi » de l’offre et de la demande, mais à son contraire : l’instabilité. Tant que les cours montent, le jeu est à somme positive et tout le monde semble gagner, sauf le consommateur final, notamment celui qui cherche un logement ; mais quand ils baissent, seuls les professionnels surnagent, secourus en tant que de besoin par les finances publiques.
La finance accapare la plus grosse part des profits.
Ce qui enrichit le capitaliste, ce n’est ni la concurrence (sauf chez ses fournisseurs, évidemment), ni la croissance de la production, mais la croissance des profits, que les monopoles garantissent : la fin du capitalisme n’est pas en vue...
Le capitalisme financier profite aussi du refinancement des crises financières qu’il suscite par ses excès spéculatifsqui détruisent des activités, des richesses, de la monnaie. Il faut alors relancer l’économie avec des crédits publics forçant les États à s’endetter, autre source de profits, car les banques centrales achètent les dettes et ainsi enrichissent leurs détenteurs.
Le financier attend de l’État qu’il l’aide et le protège ; l’État courtise les financiers parce qu’il a besoin d’argent, d’emplois, d’activités. L’État cède le pas aux financiers en s’endettant et en restreignant ou privatisant ses activités, ouvertement ou par la bande.
Les financiers, dirigeants des grandes banques, sociétés d’assurance, sociétés de gestion de fonds, imposent aux entreprises qu’ils contrôlent des normes de gestion épuisantes, à commencer par des profits aussi élevé que possible. Et donc que soient externalisées ou fermées toutes les activités qui n’atteignent pas ce rendement, ce qui diminue le niveau global d’activité économique. Et que l’entreprise s’endette à peu de frais pour augmenter la rémunération du capital, ce qui est générateur de fragilité et d’instabilité, des entreprises financières ou non. Les considérations relatives au bien public sont mises en scène par une communication instituant un illusionnisme des bonnes œuvres sociales et écologiques.
Cette insatiable exigence de rentabilité entraine un accaparement des richesses nouvelles et un transfert permanent des moins riches vers les détenteurs de capitaux et vers les dirigeants financiers grâce à leurs bonus et à leurs options d’achats d’actions. Ce qui contribue à l’augmentation incessante de l’inégalité des patrimoines.
Les financiers écartent les innovations qui tardent à devenir rentables, remplacent lesinvestissements productifs par des licenciements, ferment des usines et vendent des filiales pas assez profitables, acquièrent des concurrents et augmentant leurs pouvoirs sur les marchés, remplacent le capital par l’endettement, ce qui augmente les profits mais aussi la fragilité pour les entreprises nouvelles comme pour les anciennes.
Dans tous les cas, le capitalisme financier accroît l’instabilité économique pour les entreprises et les salariés, la précarité et les inégalités.
Les financiers veulent principalement, non pas « créer de la valeur pour l’actionnaire » comme ils l’ânonnent, mais augmenter leur propre rémunération et leur propre pouvoir. Ils recourent aucapitalisme en bande organisée, quoique organisée de manière lâche et informelle pour échapper aux accusations d’ententes trop voyantes.
Ils ne peuvent se contenter d’exercer leur pouvoir sur leurs propres entreprises, mais doivent l’étendre sur les entreprises concurrentes par des ententes discrètes ou en les rachetant, leur pouvoir sur les fournisseurs en les étranglant à la limite de la survie, leur pouvoir sur leurs clients dont ils cherchent à susciter l’addiction à leurs produits et à leurs marques. Le pouvoir des dirigeants banquiers sur les banques et les banques centrales augmente à mesure que leur nombre diminue. Leur pouvoir sur les États est indispensable car ils en dépendent par la fiscalité, la réglementation et les marchés publics.
La connivence est constante au sein des minces couches oligarchiques qui passent incessamment de la direction des institutions publiques à celle des institutions privées et vice-versa.
Nous ne vivons pas dans une « société de marchés », encore moins parfaits ou auto-régulés, mais dans une société où le capitalisme financier nous impose de plus en plus ses lois et ses mœurs destructrices, inégalitaires et, du fait de l’exacerbation politique des conflits économiques, de plus en plus liberticides, même si tout est censé se faire au nom du libéralisme, donc, en principe, de la liberté.
Le capitalisme préfère la démocratie parce qu’elle coûte moins cher que la répression. Mais, notamment du fait de l’accroissement des inégalités, s’il faut en passer par les faux frais de la répression, alors il consent à l’augmentation des dépenses publiques pour faire régner la loi du plus fort et du plus riche, et finance les régimes autoritaires, tout en maintenant, avec ses medias, les apparences de la démocratie…
Cette domination financière n’est pas inéluctable. Mais, pour la faire reculer, les États devront rétablir le contrôle des capitaux, de leur création, de leur usage, de leur fiscalité, et leur contrôle sur les tuteurs prétendument publics de la finance comme les banques centrales et les superviseurs financiers, et pour cela se doter démocratiquement d’une doctrine sur le bon usage des capitaux, qui doit être seul autorisé.
Pour y parvenir, un énorme effort est nécessaire pour discréditer la propagande néo-libérale incessante sur les prétendus libres marchés, et faire converger les propositions sur le meilleur usage des capitaux publics et privés, et les méthodes les plus efficaces pour l’imposer…