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Billet de blog 20 septembre 2016

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On a retrouvé le verrou de Bercy !

Il existe, malheureusement. Raison de plus pour l’ouvrir, et pour demander aux candidats aux primaires de le supprimer.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il n’est pas dans le livre des procédures fiscales, que tout le monde cite, mais dans le code général des impôts, dans l’article 1741 que j’ai cité, mais sans en mentionner la dernière phrase qui indique discrètement que :

« Les poursuites sont engagées dans les conditions prévues aux articles L. 229 à L. 231 du livre des procédures fiscales. » ; c’est-à-dire après dépôt d’une plainte par le service chargé de l'assiette ou du recouvrement de l'impôt.

Cette rédaction conditionne les poursuites ; mais par les enquêtes préliminaires, qui ne sont pas des poursuites, et qui peuvent être engagées par le procureur ou la police.

 Que dirait-on si une telle enquête, avec ce qu’il faut de spectaculaire pour appâter les médias, audition, garde à vue, perquisition, établit une fraude fiscale, suivie d’une conférence de presse du procureur déclarant : « la fraude fiscale semble avérée, mais faute de plainte du fisc, je ne puis poursuivre ».

 Quel tollé !

 Bien sûr, il y faudrait un peu de courage ; mais certains procureurs n’en manquent pas. Et, après tout, ils ne commettraient, ce faisant, aucune faute.

 Un arrêt récent du Conseil constitutionnel (Décision n° 2016-555 QPC du 22 juillet 2016)  a jugé que le monopole fiscal des plaintes pour fraude fiscale n’était pas contraire à la Constitution, au motif que s’il entravait en partie l’action publique, c’était de manière proportionnée.

 Malheureusement, le Conseil a été saisi pour des motifs tels que l’égalité devant la loi, l’indépendance des pouvoirs, l’entrave à l’action publique, et pas pour le seul bon motif.

 Ce monopole fiscal viole la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, partie intégrante de la Constitution, en son article 5 :

« La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. »

 Ce monopole fiscal viole donc les libertés publiques, et notamment la liberté d’un citoyen de porter plainte pour fraude fiscale, fraude qui nuit à l’ensemble de la société. Cette plainte n’est pas une action nuisible à la société, et ne devrait donc pas être interdite.

 Le Conseil étudie ce point à partir d’une conception étonnamment restrictive des intérêts publics. Il écrit :

« les infractions pour lesquelles une plainte de l’administration préalable aux poursuites est exigée répriment des actes qui portent atteinte aux intérêts financiers de l’État et causent un préjudice principalement au Trésor public. Ainsi, en l’absence de dépôt d’une plainte de l’administration, à même d’apprécier la gravité des atteintes portées à ces intérêts collectifs protégés par la loi fiscale, qui sont susceptibles de faire l’objet de sanctions administratives, l’absence de mise en mouvement de l’action publique ne constitue pas un trouble substantiel à l’ordre public. »

 Il traite l’État comme un particulier quelconque, qui est le seul à pouvoir porter plainte quand ses intérêts sont lésés, et le seul à pouvoir apprécier si ses intérêts sont assez lésés pour porter plainte.

Mais le Trésor public n’est pas un simple particulier ; comme son nom l’indique, le Trésor public est PUBLIC. Des intérêts publics sont lésés, intérêts qui sont ceux de l’ensemble des citoyens.

 L’article 14 de la déclaration des droits dispose que :

« Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. » 

 Ainsi, tous les citoyens, y compris les procureurs, ont le droit de suivre le recouvrement de la contribution publique, mais la loi et le Conseil constitutionnel les privent du droit de se plaindre quand cette contribution n’est pas recouvrée, faute de pouvoir porter plainte contre les fraudeurs, et faute du droit d’engager des poursuites.

 C’est une violation flagrante de notre Constitution.

 Enfin, l’article 15 de la déclaration dispose que :

«  La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. »

 Qu’attendent nos représentants nationaux pour demander compte à l’administration fiscale des plaintes qu’elle n’engage pas, et des poursuites qu’ainsi elle empêche ? Après tout, peut-être qu’en effet certaines plaintes ne seraient pas justifiées, pour certains fraudes négligeables ou dûment remboursées et pénalisées ? Mais pourquoi nos députés ne pourraient-ils pas en juger ? Ainsi que les procureurs, qui, eux aussi, ont pour devoir de juger de l’opportunité des poursuites ? 

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