Notre ministre du budget, interrogé à propos des papiers du Panama, a répondu que notre superviseur bancaire, l’ACPR, combattait le blanchiment des capitaux.
Le rapport annuel du superviseur bancaire comporte un chapitre à ce sujet. L’ACPR envoie des questionnaires aux établissements contrôlés, leur demandant des précisions sur leur manière de lutter contre le blanchiment, et exploite les réponses.
Conclusion du superviseur dans son rapport sur 2014 : « Les établissements de crédit paraissent maintenir un niveau de conformité satisfaisant.»
Les contrôles sur place donnent également lieu à un contrôle de ces pratiques :
«Au cours de l’année 2014, 38 missions de contrôle sur place comportant un volet LCB-FT [Lutte Contre le Blanchiment-Financement du Terrorisme] ont été conduites au sein d’organismes des secteurs de la banque et de l’assurance. En fonction de la gravité des manquements relevés, les missions de contrôle sur place donnent lieu à une lettre de suite du secrétaire général de l’ACPR, à une mesure de police administrative ou à l’ouverture d’une procédure disciplinaire.»
En cas de manquement, diverses procédures sont engagées :
«La commission des sanctions de l’ACPR a prononcé une sanction comportant des griefs de LCB-FT à l’encontre d’un changeur manuel, portant le total de sanctions dans ce domaine à 11 depuis la création de l’ACPR en mars 2010. Cinq procédures disciplinaires étaient en cours à la fin de l’année 2014.
Six mises en demeure ont été prononcées en matière de LCB-FT (21 depuis la création de l’ACPR).
Par ailleurs, … l’ACPR transmet à Tracfin les défauts de déclaration de soupçon relevés au cours des missions de contrôle sur place. Quand l’ACPR transmet à Tracfin des informations relatives à des sommes ou opérations susceptibles de provenir d’une fraude fiscale …, elle avise l’administration fiscale,...
Aucun établissement de crédit n’a été visé en 2014»
La liste des sanctions en comporte sept concernant en tout ou partie le blanchiment depuis 2010, qui visent :
en 2011 la Caisse de crédit municipal de Toulon (CCMT),blâme et sanction pécuniaire de 150 000 euros, etl’établissement A(nonyme), avec un avertissement ;
en 2012 l’établissement A, avec un avertissement et une amende de 500000 euros ; et Bank Tejarat Paris, M. Mohammad Mahdian et M. Hossein Fazeli , blâme et 300000 euros d’amende ;
en 2013, la Banque Chaâbi du Maroc, blâme et sanction pécuniaire de 1 million d’euros et Banque Populaire Côte d’Azur, blâme et sanction pécuniaire de 500 000 euros ;
en 2015, la Mutuelle d’Ivry – La Fraternelle, avertissement et sanction pécuniaire de 500 000 euros.
7 sanctions en 7 ans, soit tout de même une par an, dont cinq nominatives ! Ce fin travail de limier a permis de détecter 7 blanchisseurs potentiels. Pour ce qui est des transmissions à Tracfin, au fisc ou à la Justice, le rapport ne donne pas de chiffres. On peut soupçonner que ce chiffre est égal à zéro[1].
Le ministre a dit vrai : le superviseur lutte effectivement contre le blanchiment ; ou du moins, contre le blanchiment potentiel ; et, dans ce domaine, le niveau de conformité lui paraît satisfaisant...
Notons que les sanctions nominatives ne nomment que des établissements minuscules. Pour les grands, la discrétion est de mise, comme celle envers « l’établissement A ». Il a fallu attendre mars 2013, quand la Société Générale a publié son document de référence réglementaire, pour que, dans un louable effort de sincérité[2], elle indique[3] :«Le 24 octobre 2012, l’ACP a retenu[4] une sanction financière de 500.000 euros à l’égard de Société Générale, assortie d’un avertissement. » ; précisant que « Cette décision a acquis un caractère définitif », ce qui laisse entendre qu’elle n’a pas formé de recours contre cette décision, comme elle en avait le droit, et peut-être même qu’elle reconnaît les faits[5] ; enfin, n’allons pas trop loin...
Le ministre des finances a indiqué de son côté que « le gendarme des banques, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) tirerait les conclusions de toute action répréhensible ». Mais, apparemment, il n’en a jusqu’ici détecté aucune.
Le ministre a ajouté qu’il serait attentif aux « agissements » de la SG depuis 2012, terme péjoratif et tendancieux qui pourrait susciter à bon droit les réactions appropriées de cette dernière, comme elle l’a montré en poursuivant pour diffamation d’autres déclarations injustifiées.
L’ACPR a demandé aux banques françaises des informations « complémentaires » concernant leurs activités dans les paradis fiscaux[6]. Une perquisition judiciaire a en outre eu lieu dans les locaux parisiens de la Société Générale. On en attend les résultats avec curiosité, et depuis plusieurs mois. Mais, d’après ce qu’en ont dit certains journalistes, s’il y a eu créations d’entités travaillant avec des entités panaméennes, pardon, H, c’est plutôt dans les filiales luxembourgeoises, enfin, faute de preuves, disons, K ; où on ne signale aucune perquisition[7].
Du reste, les filiales d’une banque française au Luxembourg sont du ressort, en matière de lutte anti-blanchiment, du superviseur luxembourgeois : la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF). À propos des papiers du Panama, cette commission a publié le 5 avril 2016 un communiqué indiquant qu’elle allait continuer à exiger que les banques et sociétés d’investissement du Luxembourg se conforment scrupuleusement à leurs obligations en matière de lutte anti-blanchiment et en tirera les conséquences[8] en cas de manquement. De plus, elle rappelle que les banques du Luxembourg collectent de l’information au regard de l’échange automatique d’informations avec des contreparties dans l’Union européenne et dans l’OCDE. Dieu merci, le Panama ne fait partie ni de l’Union européenne, ni de l’OCDE.
Le rapport de la CSSF sur 2014 comporte un chapitre sur la criminalité financière, qui rappelle en détail l’évolution du cadre réglementaire national et international et les nombreuses réunions tenues à ce sujet. Ainsi qu’un chapitre sur les sanctions, y compris en matière de lutte insuffisante contre le blanchiment : aucune sanction n’est signalée contre les établissements de crédit. Trois amendes sont infligées aux entreprises d’investissement de respectivement 5000, 15000 et 7500 euros, principalement pour non-respect de certains délais ou obligations ; elle leur a en outre envoyé deux injonctions. Une amende de 40000 euros envers un prestataire de services financiers, et la Commission a transmis quatre plaintes au Parquet.
Comme on le voit, le superviseur luxembourgeois, comme le superviseur français, a à cœur de lutter contre le blanchiment des capitaux, du moins en matière criminelle et de financement du terrorisme. Sur le blanchiment de fraude fiscale, il applique la loi luxembourgeoise sur l’identification des propriétaires d’actions au porteur (de sociétés de droit luxembourgeois) et attend la transposition de la quatrième directive anti-blanchiment qui comporte des dispositions sur le blanchiment de fraude fiscale. Encore faudra-t-il qu’il s’agisse de fraude fiscale aux yeux des autorités luxembourgeoises, pas toujours aussi tatillonnes que celles des pays voisins.
En attendant, son directeur général écrit en introduction :
« C’est pourquoi elle a assez tôt poussé le secteur financier à s’engager dans la voie de la transparence fiscale et à persévérer dans cette direction. C’est pourquoi elle a fait des propositions et agira pour enrayer l’utilisation au sein de groupes bancaires de structures qui échappent à la surveillance consolidée et d’entités non bancaires susceptibles d’induire en erreur les investisseurs. C’est pourquoi aussi elle exige que les acteurs du secteur financier aient sur place la substance nécessaire pour lui permettre d’exercer ses compétences. »
Il ne précise pas ce qui lui donne à penser qu’il existe au sein des banques des structures « qui échappent à la surveillance », et qui seraient « susceptibles d’induire en erreur les investisseurs » ; il s’agit en l’occurrence d’une imputation presque diffamatoire, en tout cas de nature à entacher la réputation de la place luxembourgeoise, pardon, K, où les investisseurs n’ont en principe aucune raison de s’inquiéter[9]…
[1] Les sanctions ne visent en général pas des cas avérés de blanchiment, seulement des insuffisances dans le dispositif de lutte contre le blanchiment.
[2] Sincérité étonnante, même, puisque c’est elle qui avait réclamé,et obtenu, l’anonymat de la sanction.
[3] Ce qui ne l’avait pas empêché de demander d’abord à la commission « de prononcer sa mise hors de cause après avoir constaté les irrégularités procédurales tenant aux circonstances dans lesquelles le contrôle sur place de la banque privée au sein de l’établissement A a été étendu au Pays Z ». En effet, l’activité visée s’était étendue « en Grande-Bretagne, au Pays Z, en Belgique et en Suisse » ; or, « au Pays Z, l’activité de banque privée est exercée par deux entités, l’entité 1 de l’établissement A au pays Z, rattachée à la filiale britannique, chargée de gérer les trusts, et l’entité 2 de l’établissement A au pays Z , chargée de l’activité de banque privée et qui a été apportée à la filiale suisse du groupe ». Faute de convention avec le pays Z, les constats faits sur place ont finalement dû être abandonnés. La banque s’est également réclamée, en vain, des protections prévues par la convention européenne des droits de l’Homme.
[4] On inflige une sanction. La banque veut sans doute dire que l’ACP a retenu 500000 euros…
[5]Il est vrai que l’inspection générale du groupe avait souligné la nécessité d’améliorer le traitement de catégories de clients, en particulier la clientèle de nationalité R, de la zone G, les intermédiaires financiers (FIM) et les non-résidents de nationalité I (NRI) précisément désignés. Au total, 18 griefs seulement sur les 54 notifiés ont pu être retenus dans leur intégralité dans la sanction. Où l’on voit que la lutte contre le blanchiment connaît encore des limitations drastiques, surtout dans les groupes bancaires « bien organisés » dans les pays X, Y, Z.
[6] Quels paradis fiscaux ? La liste officielle est pratiquement vide. Même le Panama n’y sera réintégré qu’en 2017.
[7] Une société luxembourgeoise a obtenu sans difficulté une ordonnance judiciaire lui permettant de perquisitionner les locaux et ordinateurs français d’un lanceur d’alerte révélateur de LuxLeaks. Mais de là à autoriser une perquisition française dans des locaux luxembourgeois, il ne faudrait tout de même pas exagérer…
[8] En France, on tire les conclusions ; au Luxembourg, on tire les conséquences ; dans les deux pays, il n’y a guère que sur les délinquants qu’on ne tire pas. Mais c’est uniquement faute de délinquants…
[9] Sauf peut-être quand ils investissent dans une structure locale X gérée par une banque du pays Y qui confie leurs fonds à B… L. M…ff Investment Securities LLC, dans la zone U ; mais, chut, restons discret…