Michel Crinetz (avatar)

Michel Crinetz

ancien superviseur financier

Abonné·e de Mediapart

71 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 octobre 2016

Michel Crinetz (avatar)

Michel Crinetz

ancien superviseur financier

Abonné·e de Mediapart

Assurance-emprunteur : les banquiers ne veulent rien lâcher

Les banquiers adorent les prêts immobiliers longs, qui ligotent le client pour longtemps. Ils font miroiter un taux bas, mais se rattrapent largement sur l’assurance emprunteur, que le législateur essaie en vain de leur disputer.

Michel Crinetz (avatar)

Michel Crinetz

ancien superviseur financier

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Dans un rapport du 15 mars 2016, communicable au sens de la loi du 17 juillet 1978, intégrée dans le Code des relations entre le public et l'administration, la direction de la Consommation du ministère des Finances a fait un bilan de la liberté de choix de l’assurance-emprunteur.

 Il ressort des principaux extraits ci-dessous que nombre de banquiers ont souvent utilisés divers moyens, formels ou dilatoires, de bonne ou de mauvaise foi, légaux ou illégaux, pour largement vider la loi Hamon de sa substance, et garder pour des années ou des décennies des clients captifs et particulièrement lucratifs.

 Le projet de loi Sapin II revient à la charge en accordant à l’emprunteur un droit de résiliation annuel.

Mais il ajoute benoîtement que le banquier pourra opposer à l’assuré un « refus justifié ». Bref, comme auparavant, un refus justifié par la mauvaise volonté du banquier. Encore une loi excellente dans son intention, mais sans portée pratique.

Le ferait-on exprès ?

 « L’enquête avait pour objet principal de déterminer les conditions de fonctionnement du droit de substitution de l’assurance-emprunteur pour le crédit immobilier prévu par la loi Hamon. L’enquête s’est déroulée dans 7 départements répartis dans 5 régions et a donné lieu au contrôle de 11 établissements. Des suites contentieuses sont envisagées pour un établissement. L’enquête n’a pas permis de constater une hausse de la souscription de contrats d’assurance concurrents aux contrats de groupe. Toutefois, l’entrée en vigueur postérieure au déroulé de l’enquête de certains textes réglementaires doit conduire à nuancer ce constat.

 Il s’agit d’une enquête hors programme qui a été menée entre août et octobre 2015. Elle a mobilisé 7 directions départementales de la protection des populations, réparties dans 5 régions, et a donné lieu au contrôle de 9 établissements représentatifs du marché, répartis sur le territoire national, ainsi que de deux autres établissements qui ont fait l’objet de plaintes de consommateurs.

Les enquêteurs ont fait part de leur difficulté à recueillir auprès des établissements les informations utiles à leur enquête, soit en raison de leur réticence, soit en raison du défaut d’enregistrement de certaines informations telles que les demandes de substitution ou les refus de substitution. De plus, les demandes de changement d'assurance se situent encore très largement au niveau des agences et/ou des courtiers, qui dissuadent oralement les emprunteurs de changer d'assurance, évitant ainsi une demande officielle. Cette pratique rend difficile l'appréhension des freins qui sont mis aux changements d'assurance, qui pour la plupart ne laissent aucune trace.

L’adhésion de l’emprunteur à un contrat de groupe permet à l’établissement de crédit de percevoir une rémunération. En effet, une grande partie de la prime est reversée par l'assurance à la banque au titre des commissions ou des participations aux bénéfices. A cet égard, un opérateur a indiqué recevoir 37,2 % de commissions sur les primes d'assurances groupes et 13,5 % sur les primes d'assurances défensives. Un autre a indiqué avoir reçu 31,7 M € de commissions en 2014 pour l'assurance emprunteur.

La comparaison des données recueillies auprès des établissements contrôlés ne fait pas apparaître de réelle évolution quant au nombre de contrats de groupe souscrits. En effet, entre juin 2013 et juin 2014, ils représentaient selon les établissements contrôlés entre 57% et 97% des prêts souscrits, tandis qu’après l’entrée en vigueur du nouveau dispositif, ceux-ci représentaient entre 55% et 95% des prêts souscrits. Les chiffres s’avèrent contrastés selon les établissements mais sont globalement stables.

Le recueil du taux de substitution, c’est-à-dire du nombre de contrats passés à la concurrence pendant la période de substitution de douze mois s’est avéré difficile pour les enquêteurs, puisque certains établissements ont prétendu ne pas enregistrer les demandes de substitution. Un établissement de crédit a, en outre, indiqué ne pas connaître le nombre de dossiers ayant fait l’objet d’une substitution avant janvier 2015.

Toutefois, lorsque les chiffres sont connus, il apparaît que l'impact de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation est encore limité. Les demandes d'assurances externes interviennent encore très majoritairement avant l'émission de l'offre de prêt. Très peu de substitutions interviennent en application de la loi nouvelle ou après 12 mois. Un opérateur a toutefois indiqué que les changements récents de réglementation ont entraîné une hausse du nombre de contrats de prêt avec assurance externe, passant de 15 % en 2014 à 21 % au premier semestre 2015. Il faut toutefois préciser que ce taux était de 28 % en 2010 et qu'il avait paradoxalement baissé depuis lors, en raison d'une « meilleure communication sur le contrat d'assurance groupe », d'après les responsables rencontrés. La substitution au-delà de 12 mois est interdite pour une banque. Elle est en revanche possible chez une autre, bien qu'assez peu fréquente (333 demandes au premier semestre 2015).

La plupart des établissements contrôlés ne traitent pas dans les délais légaux les demandes de substitution. Les délais de traitement vont de 14 à 56 jours. Certains établissements ont fait valoir que le délai de notification d’acceptation ou de refus de 10 jours était trop court et très difficile à satisfaire ; néanmoins, la procédure interne de ces établissements pourrait être revue prochainement. L'étude des dossiers dits « incomplets » s'est révélée intéressante pour mettre à jour un certain nombre de pratiques préjudiciables au consommateur. Les banques considèrent que les demandes de documents supplémentaires suspendent leur délai légal de réponse. Elles ont souvent pour effet de décourager les demandeurs.

Chez un opérateur, certains dossiers de substitution sont considérés comme incomplets alors que les pièces manquantes ne sont pas prévues par les textes d’application de l’article L. 312-9 du code de la consommation, mais relèvent de sa procédure interne. Une procédure d’injonction et un procès-verbal de pratique commerciale trompeuse sont envisagés à l’encontre de cet opérateur. Un établissement explique que sont classés parmi les dossiers dans les dossiers de demandes de substitution incomplets, certains dossiers en attente d’une étude par un conseiller. Ainsi, une demande de substitution peut ne pas aboutir, uniquement en raison d’un manquement du personnel de la banque. Par ailleurs, la direction d’un établissement a expliqué que quelques dossiers de demande de substitution ont été jugés incomplets de façon injustifiée en raison d’une mauvaise interprétation. Cet établissement a indiqué que des améliorations seraient apportées prochainement.

Les demandes de substitution adressées sur la forme d’un mandat :

Les demandes de substitution adressées directement par l’assureur délégué au prêteur, sur la base d’un mandat, posent problème chez un opérateur. En effet, ce dernier semble considérer, à tort, que ces demandes sont dénuées de fondement juridique. En effet, parmi les dossiers considérés comme incomplets, 7 concernent des demandes de substitution adressées directement par l’assureur délégué sur la base d’un mandat de l’assuré. Il a déclaré qu’une demande de résiliation devait être effectuée par l’assuré, cela signifie que les dossiers initiés par le biais d’un mandat ne peuvent aboutir que si la demande suit ensuite la voie considérée comme « normale » par la banque, c’est-à-dire celle d’un échange direct entre le conseiller et l’emprunteur.

Les établissements contrôlés n’ont pas été en mesure de fournir plusieurs éléments d’information sur les principales causes de refus de substitution d’assurance. Ce défaut de transmission nécessite la poursuite des investigations dans ce domaine.

Conclusion

Les données statistiques recueillies auprès des établissements sont incomplètes. Elles n’ont pas permis de constater une hausse de la souscription de contrats d’assurance concurrents aux contrats de groupe depuis l’entrée en vigueur du droit de substitution issu de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Toutefois, ce constat doit être nuancé compte tenu de l’entrée en vigueur récente des textes réglementaires permettant la pleine application de ce dispositif. Rappelons que cette entrée en vigueur est postérieure au déroulement de l’enquête.

Compte tenu de ces premiers résultats, la DGCCRF continuera d’exercer un contrôle régulier des opérateurs du secteur, en portant une attention toute particulière au traitement appliqué des demandes de substitution d’assurance emprunteur qui sont adressées à ces opérateurs. »

Le rapport précise cependant avec espoir que :

« Cette distorsion est à présent établie par la fiche Standardisée d’Information (FSI), entrée en vigueur depuis l’avis du Comité Consultatif du Secteur Financier (CCSF) du 13 janvier 2015. L’analyse des dossiers refusés et incomplets a montré que les opérateurs appliquent les critères définis dans cette fiche. Les critères d’équivalence de garanties constituant désormais des exigences minimales qui, si elles ne sont pas satisfaites, conduisent à écarter le contrat de façon automatique. Ainsi, la notion d’équivalence est désormais objectivée, et analysée critère par critère de façon stricte. Auparavant, l’évaluation de cette équivalence laissait plus de place à l’appréciation. ».

Malheureusement, de nombreux témoignages de refus pour des motifs mal précisés ou illégaux continuent à affluer, notamment recueillis par UFC-Que Choisir, qui a saisi le superviseur le 29 septembre 2015 ; sa direction de la protection des consommateurs, pourtant dotée de pouvoirs d’enquête et d’inspection étendus, sur pièce et sur place, est, pour le moment, reste muette.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.