La théorie économique doit s’intéresser aux effets néfastes des spéculations. Notamment aux bulles immobilières, qui excluent les pauvres et endettent les classes moyennes quand elles gonflent, et les expulsent quand elles éclatent.
Certains économistes leur trouvent des effets positifs. M. Tirole a écrit qu’en période de hausse des marchés, les bulles sont utiles pour stocker les liquidités excédentaires (alors que ces liquidités sont créées par la spéculation elle-même, et par la monnaie créée par les banques qui la financent). Summers et Krugman pensent que trois bulles ont alimenté les trois périodes de croissance de ces dernières décennies pour l’économie américaine, celle de l’immobilier commercial sous Reagan, puis la bulle Internet et la bulle immobilière des subprime, sans lesquelles il y aurait eu une stagnation.
Thomas Grjebine, économiste au CEPII, pense que pour relancer la construction, il faudrait appâter les investisseurs en relançant le cycle immobilier ; en effet, ils achètent quand les prix montent, dans l’espoir d’une plus-value.
Cela trouble les bons esprits, qui préfèrent une « croissance saine », sans recours à la spéculation. D’où provient cet enchaînement paradoxal ?
D’un dysfonctionnement intrinsèque aux marchés immobiliers et financiers, qui sont des marchés de stocks et non de flux, donc tendanciellement spéculatifs. Dans un marché de flux, de marchandises par exemple, la loi de l’offre et de la demande fait que la demande augmente quand les prix baissent, et diminue quand les prix montent ; ces marchés sont autorégulateurs.
Mais quand un bien est stockable et unique, une œuvre d’art, ou rare, comme les terrains à bâtir, et peut être traité comme un actif financier, alors, la loi de l’offre et de la demande est inversée. La demande diminue quand le prix baisse, accentuant la baisse et causant un krach, et augmente quand les prix montent, gonflant une bulle. D’où les excès et l’instabilité intrinsèque de ces marchés[1]. Le logement des pauvres, et des moins pauvres, dépend ainsi de la spéculation des riches.
La solution ? Quand un marché dysfonctionne du fait de son essence même, il faut l’encadrer par des règles plus contraignantes. Mais comment ?
La terre, terre agricole ou terrains à bâtir, préoccupe les économistes depuis le début. Marx et Proudhon étaient opposés à sa propriété privée. L’économiste orthodoxe Léon Walras préconisait l’attribution de la terre et de la rente foncière à l’État. Même Ricardo, le père du libéralisme, était hostile à la rente foncière, indue et injuste.
La solution nécessite d’y affecter plus de fonds publics (et des fonds de pension comme en Hollande). Non pas à l’aide à la pierre, qui gonfle les bulles. Mais en finançant des entités bancaires semi-publiques ou mutualistes, interdites de spéculation (autrement dit, à détention longue), à l’investissement dans l’immobilier. Ainsi, on évitera que les prix montent du fait de la spéculation : ils resteront accessibles aux acquéreurs ou locataires peu fortunés. Et pour financer leur isolation thermique.
L’interminable gestion des listes d’attente de logements sociaux, et le favoritisme qui la biaise ne montrent pas les limites intrinsèques du logement social, mais l’insuffisance des financements mobilisés ; ou plutôt leur affectation mal dirigée qui enrichit en dernière analyse les propriétaires-spéculateurs. Il faut les réaffecter, les augmenter. Les capitaux ainsi redéployés bénéficieront d’une rentabilité délibérément modérée à long terme, non d’un gain spéculatif à court terme.
Un marché souple du logement, débarrassé de la prédation des spéculateurs, mettrait fin à une des principales rigidités françaises, du marché du travail en particulier. Car pour changer d’emploi, il faut souvent changer de logement.
[1] Ce point est expliqué beaucoup plus en détail par André Orléan dans le chapitre VII de L’empire de la valeur.