Les banquiers prélèvent sur les emprunteurs immobiliers, via l’assurance emprunteur, une rente annuelle de 3 milliards d’euros résultant d’une marge moyenne de 55 % sur ces contrats.
La loi Lagarde de 2010 prétendait y mettre bon ordre, mais ses lacunes ont permis aux banquiers de la contourner : 85 % de part de marché !
La loi Hamon voulait permettre de changer d’assureur, mais seulement durant la première année ; changement que le banquier peut refuser s’il considère que le nouveau niveau de garantie n’est pas équivalent au leur. Ils écrivent qu’ils « n’ont pas convenance » ou que "la description des prêts n'est pas conforme", sans plus de précision, ou pour de motifs de procédure souvent illégaux. Cette loi est de fait devenue une régression des droits du consommateur. Pire, un arrêt du 9 mars 2016 de la Cour de cassation est venu contredire l’esprit même de la loi Hamon, et, en pratique, interdire la substitution.
Nouvelle tentative à présent avec le projet de loi dit Sapin II, qui prévoit enfin que « l'emprunteur peut résilier le contrat tous les ans et procéder à sa substitution… » Mais qui ajoute : « Toute décision de refus doit être motivée. » Par le banquier. Retour à la case départ.
Les banquiers ne lâchent rien et, après l’échec de leur lobbying auprès des députés, ils percolent dans le Sénat avec des alliés plus ou moins inattendus ; certains les aidant par erreur, et d’autres par intérêt. Ils ont même actionné un sénateur LR pour supprimer purement et simplement cette possibilité de résiliation.
D’un côté, Le Collectif Interassociatif sur la Santé, croyant défendre les intérêts des emprunteurs malades en risques aggravés, a, sous l’influence des banquiers, écrit le 23 septembre un communiqué redoutant « une démutualisation excessive de l’assurance emprunteur … au détriment des catégories sociales d’accédants à la propriété les plus fragiles sur les plans des revenus, de l’âge ou de la santé ». Pourtant, le « Bilan actuariel de la convention AERAS Assurance Emprunteur et risques aggravés de santé » du 23 septembre 2016 aboutit aux conclusions exactement opposées[1].
De l’autre côté, la Fédération Nationale de Mutuelles Françaises vient soutenir les banquiers. C’est qu’elles ont elles aussi une part, petite mais très rémunératrice, de ce marché juteux ; avec le concours très intéressé de la CNP, assureur encore largement public, mais aussi cupide qu’un assureur privé. On aperçoit ici les limites sonnantes et trébuchantes de « l’esprit mutualiste » si volontiers mis en avant par nos chères mutuelles.
L’Autorité de tutelle des banques et des assurances et sa Direction du contrôle des pratiques commerciales censée défendre les clients a été saisie en septembre 2015 par UFC-Que Choisir à propos des nombreux refus non ou mal motivés des banques, refus qui restent la première cause de contestation auprès de la Fédération des assureurs. Un an après, aucune réponse.
La Direction de la consommation du ministère des Finances a rédigé le 15 mars un rapport accablant pour les banques sur ces pratiques, mais qui est resté interne et sans effet, alors que la loi consommation avait prévu 3000 € d'amendes par infraction.Légalement, le contenu de ce rapport est public, et je l’ai donc publié dans un billet précédent[2].
Dans son refus « motivé », le banquier devrait chiffrer l’insuffisance de garantie ; ce calcul devrait être contestable par une contre-expertise ; et ce refus devrait être pécuniairement sanctionné s’il apparaît de mauvaise foi.
Les députés ont reçu le 19 octobre le rapport de la Mission de contrôle de la loi Hamon qui présente l’assurance emprunteur comme « la grande perdante » de la loi. Ce rapport révèle en outre l’abandon du décret prévu pour interdire de résilier l’assurance pour aggravation du risque : les banquiers l’ont jugé « irréaliste » !
Nos députés ont le temps et le pouvoir de restreindre enfin celui des banquiers de toujours refuser. Espérons qu’ils montreront autant de courage que pour l’élargissement récent de la taxe sur les transactions financières.
[1] http://www.baofrance.com/adp/nos-etudes/122-observatoire-bao-2016-loi-hamon-quels-impacts-sur-les-garanties-et-les-tarifs-des-contrats-d-assurance-emprunteur-bancaires, ou pour l'étude complète : http://www.baofrance.com/telechargement/Etude2016/BAO-FEVRIER_2016-PANORAMA_DES_GARANTIES.pdf
[2] https://blogs.mediapart.fr/michel-crinetz/blog/211016/assurance-emprunteur-les-banquiers-ne-veulent-rien-lacher