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Billet de blog 29 octobre 2016

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L’extraterritorialité, enfin !

Nos souverainistes européens vitupèrent volontiers l’extraterritorialité américaine. Tels des gamins turbulents craignant d’être surpris par le maître…

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Certains Français ont été scandalisés par les 9 milliards de dollars d’amende « extraterritoriale » payée par notre champion national. Pourtant pour des transactions en dollars effectuées sur le sol américain par une succursale new-yorkaise en violation des lois américaines.

Puis on s’est étonné des sanctions américaines contre des banques suisses qui hébergeaient discrètement des comptes américains. Oubliant qu’elles avaient envoyé des employés sur le sol américain pour inciter et aider des citoyens américains à frauder le fisc américain. Du reste, la justice française poursuit UBS pour la même raison. Comme si, cas fort improbable, un Français allait sur le sol américain violer une citoyenne américaine, et était emprisonné : dirait-on que c’est extraterritorial ?

 Qu’est-ce que l’extraterritorialité ? C’est l’interdiction et la sanction, par un État, d’un acte commis à l’étranger par un étranger.

Certes, cela empiète sur la souveraineté locale. Mais si c’est pour la bonne cause ? N’a-t-on pas vu des tribunaux belges ou français poursuivre des Ruandais pour avoir assassiné au Ruanda d’autres Ruandais ? Bon, sans succès, d'accord...

 Dans le domaine financier, la loi américaine dite Dodd-Franck semble bien être dans ce cas. Elle interdit à toute entité financière possédant une entité bancaire américaine jouissant de l’assurance des dépôts américaine de spéculer pour elle-même ou de financer un hedge fund ou un fonds de capital-risque.

 Prenons BNP justement, qui possède une banque californienne assurée. Eh bien, il lui est désormais interdit de spéculer pour elle-même ou de financer ce genre de fonds. Y compris en France.

N’est-ce pas une bonne nouvelle ?

 Comment une telle interdiction est-elle possible, demanderez-vous ? Pour s’en convaincre, il faut lire attentivement ladite loi. Sa section 619 interdit, dans certaines conditions, qu’une « entité bancaire » spécule pour elle-même, ou ait une quelconque implication financière ou responsabilité managériale dans un hedge fund (fond spéculatif) ou un fonds de « private equity » (capital risque), sans restreindre cela aux seuls fonds américains, ce qui serait trop facile à tourner.

Ne reste plus qu’à voir la définition du terme « entité bancaire ». Elle est donnée plus loin, dans le chapitre « (h) Définitions. »[1] :  « Le terme "entité bancaire" signifie tout établissement de dépôt assuré…, toute compagnie qui contrôle un établissement assuré ou qui est traité comme une holding bancaire…, ou toute société affiliée ou filiale d’icelle ».

 Donc, BNP n’a plus le droit de spéculer pour elle-même ni de financer ou animer un fonds spéculatif nulle part dans le monde, ni directement, ni via ses filiales. Que lui arriverait-t-il si elle le faisait quand même ? Elle perdrait ses licences aux États-Unis, et ne pourrait plus opérer en dollars américains, sans oublier de nouvelles amendes. À la grande joie de ses concurrents américains, européens[2] ou français.

L’Union européenne, qui n’a pas encore pris conscience de ce grave problème, est obligée par les traités de préserver la concurrence « libre et non faussée ». Elle ne peut admettre que la BNP soit désavantagée par rapport à la Générale, au Crédit agricole ou à la Deutsche Bank. Elle est donc obligée d’étendre la loi américaine à l’ensemble des banques en Europe.

 Je me réjouis de lui signaler cette nouvelle occasion, qui semble avoir échappé à son attention, d’aller vers un marché financier globalisé et unifié, qui sera encore renforcé par les futurs traités transatlantiques de libre-échange.


[1]Merci à Mme Sonia Tabi, étudiante du Master pro en alternance « Contrôle des risques bancaires, sécurité financière, conformité » de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (sous la direction de Jézabel Couppey-Soubeyran) d’avoir signalé cette disposition d’une vaste portée, si du moins elle est appliquée, ce qui peut arriver à tout moment.

[2]L'association des banques allemandes a fait savoir qu'elle avait un « certain nombre de préoccupations avec la mise en œuvre de la loi Dodd Frank par les autorités américaines ». Cette association en a notamment après la règle Volcker la jugeant « beaucoup trop contraignante de façon extra territoriale pour les banques non américaines ». Apparemment, les banques allemandes ne se soucient pas de dire si elles trouvent cette disposition également trop contraignante pour leurs concurrentes américaines.

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