On entend ces temps-ci beaucoup de débats entre spécialistes de tout et experts de rien.
Ils commencent généralement pas déclarer fièrement que :
« Vous imaginez bien que je n’ai pas les 1600 pages du traité ». Certains n’hésitent pas à arrondir à 2000 pages. Admirons leur franchise, à défaut de leur conscience professionnelle.
Après quoi, ils en discourent savamment et en détail, comme de vrais experts et de grands spécialistes.
Naturellement, ils disent toutes sortes de choses fausses et oublient toutes sortes de choses importantes ; c’est logique, puisqu’ils ne l’ont pas lu. Il ne leur vient même pas à l’esprit que leur déontologie devrait leur imposer de le lire et de l’analyser avant d’en parler.
Déontologie ? C’est quoi, déjà ? Où voulez-vous que je trouve le temps de tout lire, si je dois parler de tout sur tous les plateaux de radio et de télé ?
Ils disent que c’est juste un traité commercial, un traité de libre-échange, comme nous en avons déjà signé beaucoup.
C’est faux.
Ce traité traite de tous sujets, comme l’annonce son titre : AECG, Accord économique et commercial global. L’accord traite de tout, y compris de l’environnement, mais tend à donner la priorité sur tout aux commerçants et aux investisseurs, en clair, aux multinationales.
Ils disent au contraire que ce traité va surtout profiter à nos PME, lesquelles, comme elles arrivent difficilement à survivre en France et en Europe, vont se précipiter au Canada pour y faire plein d’affaires. C’est sûr !
Et pour nos braves agriculteurs producteurs d’AOC, qui vont devoir obtenir des autorisations de doublement de production tant ils vont vendre de fromages au Canada. C’est évident.
Ils ânonnent d’autres lieux communs ; par exemple, que comment se fait-il que, dans notre grande et belle démocratie européenne, une toute petite région de 3 millions d’habitants vienne contrarier la grande Europe de 500 millions ? Mais, dans nos diverses démocraties, qui d’autres que les Wallons ont sérieusement étudié les textes ? posé des questions auxquelles la Commission a mis un an pour répondre ? Discuté ? Délibéré ? Voté en connaissance de cause ? C’est ça leur conception de la démocratie ?
Par exemple que naturellement, comme tout traité, celui-ci comporte des compromis, et fait donc des gagnants et des perdants. Mais ils passent rapidement sur le sort de perdants[1], et concluent que le bilan est globalement positif, comme disait le parti communiste à propose de l’union soviétique.
Ils ne disent pas comment ils ont trouvé positif le bilan de 1600 pages de dispositions qu’ils n’ont pas lues, pas plus que le rapport d’évaluation de juin 2011[2] obligatoirement commandé par la Commission, et qui comportait des critiques, notamment sur la nécessité des arbitrages. Non seulement ils ne l’ont pas lu, mais ils n’en parlent pas puisqu’ils en ignorent même l’existence.
La Commission qui, elle, connaît parfaitement ce rapport qu’elle a immédiatement jeté dans un broyeur, n’en pas tenu compte non plus, et tout le monde trouve cela normal.
Globalement gagnant pour les multinationales, globalement perdant pour tous les autres.
Y compris pour les États, puisqu’ils devront dédommager les multinationales de toute perte de profit futur causé par un changement de réglementation.
Dédommagement calculé par un tribunal arbitral composé d’arbitres.
D’arbitres privés ? d’arbitres publics ?
Publics, disent les Wallons.
« Pas du tout », dit José Bové, qui lui a vu le texte final, qui n’est montré à personne : « par des arbitres qui devront démonter qu’ils n’ont aucun lien avec les États ». Ce n’est pas pareil.
Du reste, l’essentiel n’est pas là.
Privés ou publics, ils devront bel et bien dédommager les multinationales…
Tout est dit.
[1] En fait, ce traité comporte énormément d’inconvénients pour énormément de gens. Mais il faut effectivement lire les 1600 pages pour en prendre conscience ; Et beaucoup plus de place que dans un billet de blog pour les passer en revue. Ceci est un appel aux volontaires…
[2] http://trade.ec.europa.eu/doclib/html/148201.htm