Le 6 novembre, en même temps qu’ils choisiront leur président, les électeurs californiens devront se prononcer pour ou contre la proposition 37, dont l’objet est d’instaurer l’étiquetage des produits alimentaires contenant des OGM. Les Californiens sont aussi appelés à voter sur dix autres questions, mais la proposition 37 est celle qui a le plus retenu leur attention.

Il peut être intéressant de reconsidérer la polémique suscitée en France par l’étude de Gilles-Eric Séralini à la lumière du débat nord-américain. Remarquons d’abord que les enjeux ne sont pas les mêmes : notre pays est soumis à une législation européenne qui impose un étiquetage des produits OGM, ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis. Et cela, alors même que les cultures d’OGM sont interdites en France, mais banales outre-Atlantique.
Le débat californien sur l’étiquetage des OGM a ravivé les interrogations sur la sécurité des plantes génétiquement modifiées. Le cœur du débat porte cependant moins sur la sécurité que sur le « droit de savoir » (« Right to know »). Ce droit est celui du consommateur à connaître les substances auxquelles il peut être exposé dans sa vie quotidienne , et donc à faire des choix informés (voir aussi l’article de Charlotte Persant dans l’édition Bully Pulpit de Mediapart).
La proposition 37, si elle était adoptée, imposerait un étiquetage spécial pour tout produit alimentaire contenant plus de 0,5% de matériau OGM (soit une part pour 200). Ce seuil est inférieur à celui prévu dans la règlementation européenne, qui impose l’étiquetage pour les produits contenant plus de 0,9% d’OGM. En France, l’étiquetage « nourri sans utilisation d’OGM », appliqué à un élevage, garantit qu’il y a moins de 0,9% d’OGM dans l’alimentation de cet élevage (c’est le cas, par exemple, des volailles de Loué).
La proposition 37 serait aussi la première loi de ce type aux Etats-Unis, ce qui contribue à expliquer la vivacité de la controverse, qui touche particulièrement les milieux scientifiques. De nombreux scientifiques engagés dans la recherche sur les plantes génétiquement modifiées sont opposés à l’étiquetage. Leur argument consiste à dire que l’étiquetage risque, en stigmatisant implicitement les produits contenant des OGM, de décourager les consommateurs de les acheter. Ce qui, par ricochet, pourrait bloquer le développement de nouveaux OGM.
Les scientifiques américains favorables aux OGM estiment qu’un tel blocage serait préjudiciable, alors que, d’après eux, les craintes concernant les plantes génétiquement modifiées sont infondées. « L’agriculture rencontre plusieurs problèmes très sérieux, et l’on a besoin de tous les moyens scientifiques pour les résoudre », estime Robert Goldberg, biologiste des végétaux à l’université de Californie à Los Angeles, cité dans la revue Science. Goldberg juge aussi que les arguments en faveur de la proposition 37 sont « idéologiques » et « antiscientifiques ».

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Ce point de vue a été repris dans un communiqué du comité directeur de l’AAAS, l’American association for the advancement of science, association à but non lucratif qui défend la liberté de la recherche scientifique et qui est aussi l’éditeur de la revue Science. Le communiqué de l’AAAS, publié le 20 octobre dernier, affirme que les efforts pour mettre en place un étiquetage « ne reposent pas sur la preuve que les aliments contenant des OGM sont réellement dangereux. »
Le comité directeur de l’AAAS conteste fortement l’opinion selon laquelle les cultures OGM ne seraient pas testées : « Contrairement à une conception répandue mais erronée, les cultures OGM sont de loin celles qui subissent le plus de tests parmi toutes les cultures introduites dans notre alimentation. » Le comité insiste aussi sur le fait que les affirmations « occasionnelles » selons lequels les animaux nourris aux OGM ont davantage de troubles digestifs, de tumeurs et meurent prématurément ne résistent pas à l’examen scientifique (allusion transparente à l’étude de Séralini).
En somme, le comité directeur de l’AAAS juge qu’il n’y a pas à apposer une marque spécifique sur les OGM, qu’il considère comme équivalents aux plantes conventionnelles. « La civilisation repose sur la capacité des hommes à modifier les plantes pour les rendre plus consommables comme nourriture, ou plus utilisables pour produire des fibres, et toutes ces modifications sont génétiques. »
D’où cette conclusion sans appel : « De longue date, la politique de la FDA (Food and drug administration, responsable de la sécurité alimentaire et médicamenteuse) a été de ne recourir à un étiquetage spécial de la nourriture que si l’absence de l’information sur l’étiquette induit un risque particulier pour la santé ou l’environnement… Imposer un étiquetage (sur les produits alimentaires contenant des OGM) ne peut servir qu’à tromper les consommateurs en les inquiétant à tort. »
Cette position rejette donc l’étiquetage au motif de l’innocuité affirmée des OGM. Mais d’autres contestent l’idée que l’absence de danger implique l’absence d’information spécifique. Ainsi, un groupe de 21 scientifiques mené par Patricia Hunt, de l’université d’Etat de Washington, a publié le 1er novembre un texte qui critique la position du comité directeur de l’AAAS, la qualifiant de « paternaliste » et d’ « orwellienne ».
Pour Patricia Hunt et ses collègues, l’argument du comité directeur viole le droit des citoyens à faire des choix informés. Le groupe de scientifiques fait observer que même s’il n’y a pas de risques démontrés, on peut s’inquiéter de l’usage d’herbicides – en particulier du Roundup – associés aux cultures OGM. Par conséquent, jugent Patricia Hunt et ses collègues, « étiqueter les produits OGM permettrait aux consommateurs de faire leurs choix en connaissance de cause. »
Les chercheurs concluent que « La civilisation repose aussi sur la confiance que les droits humains d’un individu seront respectés par ses concitoyens et par l’Etat, en particulier le ‘droit de savoir’ (‘right to know’) ».
Le point le plus intéressant dans cette discussion est sans doute l’idée que le seul droit à l’information justifierait un étiquetage, que les OGM soient dangereux ou non. A cet égard, la position du Comité directeur de l’AAAS ne contribue pas à la clarté du débat. D’autant que les emballages des produits alimentaires américains comportent habituellement des indications très détaillés sur le contenu en protéines, les colorants, etc. Il est difficile de comprendre pourquoi la direction de la principale société savante américaine a adopté une position aussi frileuse, dans un pays où il existe une grande liberté d’information.
Elle fait aussi ressortir le décalage entre la France et les Etats-Unis. Dans notre pays, l’étiquetage est imposé par la régulation européenne, et la controverse porte, non sur l’information, mais sur le danger supposé des OGM.
Il est clair également que les enjeux économiques ne sont pas les mêmes dans les deux pays. L’importance des cultures OGM aux Etats-Unis a entraîné un lobbying très puissant contre la proposition 37. Selon Science, les opposants à la proposition ont mené une campagne médiatique financée à hauteur de 35 millions de dollars par le lobby agro-alimentaire américain – notamment Monsanto et DuPont. Les défenseurs de la proposition n’ont disposé, eux, que de 5,4 millions de dollars.
Au total, le sort de la proposition 37 est incertain. Dans un premier temps, des enquêtes d’opinion indiquaient que deux électeurs sur trois étaient favorables à la proposition, mais l’écart s’est resserré, en partie sous l’effet de la campagne anti-étiquetage. En somme, aux Etats-Unis, les campagnes médiatiques tendent à favoriser le lobby des OGM. En France, c’est l’inverse : l’impact sur l’opinion de la récente campagne de Séralini a été très fort, et sans commune mesure avec sa vacuité scientifique.
Outre-Atlantique, le message dominant est : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » Chez nous, un message alarmiste sans fondement objectif trouve un écho massif et disproportionné, qui brouille le débat. Dans les deux cas, le grand perdant est le citoyen, qui reste sous-informé. Il faut espérer que le scrutin du 6 novembre contribuera à rétablir l'équilibre.