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Michel de Pracontal

Journaliste scientifique, j'ai travaillé à Science et Vie, à L'Evénement du Jeudi, et au Nouvel Observateur (de 1990 à 2009). Je suis aussi auteur de plusieurs livres dont le dernier, Kaluchua, vient de paraître au Seuil. Sur twitter: @MicheldePrac.

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Billet de blog 5 octobre 2013

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Journaliste scientifique, j'ai travaillé à Science et Vie, à L'Evénement du Jeudi, et au Nouvel Observateur (de 1990 à 2009). Je suis aussi auteur de plusieurs livres dont le dernier, Kaluchua, vient de paraître au Seuil. Sur twitter: @MicheldePrac.

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Samedi-sciences (104): le Tea Party paralyse la science américaine

Depuis le 1er octobre, la recherche publique américaine est quasiment paralysée, conséquence du blocage du budget des États-Unis au Congrès par les élus républicains de la mouvance Tea Party.

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Journaliste scientifique, j'ai travaillé à Science et Vie, à L'Evénement du Jeudi, et au Nouvel Observateur (de 1990 à 2009). Je suis aussi auteur de plusieurs livres dont le dernier, Kaluchua, vient de paraître au Seuil. Sur twitter: @MicheldePrac.

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L'un des radio-télescopes du NRAO, au Nouveau-Mexique © NRAO/Ian Parker

Depuis le 1er octobre, la recherche publique américaine est quasiment paralysée, conséquence du blocage du budget des États-Unis au Congrès par les élus républicains de la mouvance Tea Party. La « fermeture » partielle du gouvernement (voir notre article ici) n’a pas trop affecté les agences jugées essentielles pour la sécurité nationale, notamment le département de la Justice et celui de la Homeland Security (sécurité intérieure).

Illustration 2
Panneau indiquant la fermeture d'un bâtiment de recherche © Dinkytown

Mais les agences de recherche publique ont été durement touchées, de nombreux projets scientifiques sont stoppés et plus de 800 000 employés fédéraux ont été mis à pied. De nombreux colloques se sont tenus avec une participation incomplète ou ont été reportés, et des commissions qui attribuent des budgets de recherche ont été ajournées.

Le National Radio Astronomy Observatory (NRAO, Observatoire national de radio-astronomie) a dû mettre à l’arrêt ses trois radio-télescopes installés aux Etats-Unis (un quatrième, celui d’Atacama, au Chili, fonctionne encore, mais il est géré en partenariat avec l’Europe, le Japon et le Chili). Les données recueillies par les télescopes du NRAO sont exploitées par des milliers de chercheurs et le fonctionnement de ces instruments coûte environ 150 000 dollars par jour.

« L’arrêt des télescopes pourrait entraîner la perte d’une année de travail », déclare à la revue Science l’astronome Mark Reid, du Smithsonian Astrophysical Observatory, à Cambridge. Reid est en congé forcé depuis le 1er octobre. Il travaille sur un projet destiné à cartographier la structure en spirale de la Voie Lactée, notre galaxie. Selon Reid, la précision de la carte nécessite d’effectuer trois mesures sur un intervalle de 18 mois. Or, une série de mesures devait être effectuée pendant le mois d’octobre. Si le Congrès ne trouve pas d’accord dans le courant du mois, les astronomes devront recommencer toutes leurs mesures la saison prochaine.

Illustration 3
La sonde martienne Maven de la Nasa © Lockheed Martin

Les scientifiques de la Nasa sont également inquiets pour la mission MAVEN, une sonde destinée à étudier l’atmosphère martienne qui doit être lancée entre le 18 novembre et le 7 décembre. La Nasa a interrompu  ses programmes spatiaux, mais a décidé de débloquer un financement d’urgence pour maintenir le lancement  de la sonde en 2013. La Nasa a en effet besoin de MAVEN pour communiquer avec les robots Curiosity et Opportunity, qui explorent actuellement la planète rouge. Mais la date du lancement n’est toujours pas connue.

L’agence fédérale responsable des prévisions météorologiques, la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), a dû fermer provisoirement son principal site web (noaa.gov). L’agence maintient cependant en fonction un site qui donne les prévisions sur les ouragans, en particulier la tempête tropicale Karen qui touche ces jours-ci le golfe du Mexique. 

La NOAA a dû aussi renvoyer certains de ses navires de recherche, mais s’efforce de préserver l’essentiel. Ainsi, le Ronald H.Brown,  l’un des principaux navires océanographiques de l’agence, qui se trouve actuellement au Brésil, va continuer à naviguer avec un équipage réduit à 23 membres.

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Le navire Ronald H. Brown de la Nasa © DR

Un organisme universitaire, l’UNOLS (University-national  oceanographic laboratory system), qui possède une flotte de 19 bateaux utilisés par des chercheurs du public, a réussi pour l’instant à les maintenir en fonction. Ces bateaux sont financés sur une base annuelle et peuvent continuer à naviguer jusqu’à la fin 2013.

Dans le domaine de la santé, la fermeture du gouvernement a également des conséquences importantes. Le principal organisme de recherche médicale américain, le NIH (National Institutes of Health), est virtuellement à l’arrêt : 73% de ses quelque 18 600 employés sont en congé obligatoire. Le personnel encore au travail assure le maintien des installations qui demandent un entretien permanent, les expériences en cours et les soins nécessaires aux animaux de laboratoire (1,3 million de souris, 63 000 rats, 390 000 poissons, et 3 900 primates non humains).

Le NIH avait dû dans un premier temps « geler » sa base de données consacrée aux essais cliniques (clinicaltrials.gov). Un patient atteint d’un cancer n’a pas pu recevoir un traitement expérimental du fait que l’essai concernant ce traitement n’avait pas été répertorié dans la base. Après l’intervention d’un parlementaire, le NIH a été autorisé à mettre à jour les données sur les essais cliniques. Mais d’autres bases de données gérées par le NIH sont toujours gelées.

Illustration 5
Capture d'écran de la base de données clinicaltrials.gov © DR

L’une des bases de données les plus utilisées par les chercheurs en biologie et médecine, PubMed, qui recense les publications de recherche médicale, est accessible mais n’est plus mise à jour.

Afin de limiter les dégâts, il a été décidé de maintenir en activité un nombre limité de scientifiques sélectionnés, ce qui crée des situations insolites. Ainsi, Carla Dove, ornithologiste au nom prédestiné (dove signifie colombe en anglais), maintenue à son poste au Museum d’histoire naturelle de Washington, se retrouve en tête-à-tête avec 650 000 spécimens…

La paralysie de la science publique américaine n’est pas inédite : un blocage analogue s’était produit en 1995, à la suite d’un conflit entre Bill Clinton et les Républicains du Congrès. Il avait duré trois semaines et avait contraint plusieurs agences fédérales à interrompre leur activité. La situation actuelle pourrait se prolonger encore plusieurs semaines. Par une ironie du sort, cet épisode survient juste au moment où vont être attribués les prix Nobel, qui ont très souvent récompensé la recherche américaine.