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Michel de Pracontal

Journaliste scientifique, j'ai travaillé à Science et Vie, à L'Evénement du Jeudi, et au Nouvel Observateur (de 1990 à 2009). Je suis aussi auteur de plusieurs livres dont le dernier, Kaluchua, vient de paraître au Seuil. Sur twitter: @MicheldePrac.

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Billet de blog 10 décembre 2011

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Samedi-sciences (22) : les algues vertes en procès

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A Saint-Brieuc, deux associations de défense de l'environnement viennent de déposer une plainte contre «les représentants de l'Etat» qu'elles jugent responsables de l'hécatombe de sangliers survenue cet été près de Morieux (Côtes d'Armor). Entre le 7 et le 29 juillet, trente-six sangliers avaient été retrouvés morts dans la zone de l'estuaire du Gouessant et de son prolongement naturel, la plage Saint-Maurice, dans la baie de Saint-Brieux (voir notre article ici). Pour l'association de Sauvegarde du Penthièvre et celle du Trégor, l'administration est fautive de n'avoir pris aucune mesure efficace pour lutter contre la pollution des eaux par les nitrates. Or, cette pollution entraîne la prolifération des algues vertes, dont la oputréfaction produit de l'hydrogène sulfuré, cause du décès par asphyxie des sangliers.

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Manifestation des défenseurs de l'environnement à Saint-Brieuc © Arnaud Le Hir

«Il n'est pas discutable que la pollution des eaux bretonnes par les nitrates provient très majoritairement de l'agriculture et en particulier de l'élevage intensif car du fait de l'épandage trop abondant des déjections animales sous forme de lisier, sur les parcelles cultivées, la dispersion des nitrates intervient du fait des ruissellements et des infiltrations, lit-on dans la plainte. Cette situation perdure depuis les années 1970 et est responsable de la prolifération des algues vertes sur les rivages des Côtes d'Armor notamment, étant précisé, qu'en se décomposant, les algues vertes génèrent de l'hydrogène sulfuré (H2S) libérant ainsi un gaz toxique pouvant être mortel pour l'homme au-delà de 500 PPM (partie par million). »

Les deux associations reprochent au préfet des Côtes d'Armor, Rémy Thuau, d'avoir immédiatement affirmé, après la découverte des premiers cadavres de sangliers, le 7 juillet, qu'il n'y avait aucun lien entre les algues vertes et le décès de ces animaux. Cette affirmation a été démentie par les résultats des analyses effectuées sur les cadavres des sangliers et d'autres animaux trouvés morts (deux ragondins, un blaireau et un chevreuil), qui ont révélé la présence d'hydrogène sulfuré dans les poumons de ces bêtes.

Un rapport très complet publié début septembre par l'Ineris (Institut national de l'environnement industriel et des risques) a conclu sans ambiguïté : «Les niveaux de concentration en H2S dans les différents milieux de la baie, les niveaux de concentration mesurés dans les poumons ou le sang des animaux morts et les symptômes observés concourent à retenir l'hypothèse d'une intoxication par l'H2S comme hautement probable». Compte tenu du fait qu'il n'y a pas d'autre hypothèse plausible, «hautement probable» équivaut ici à une probabilité de 100%.

Mais bien avant que ce rapport ne soit publié, les défenseurs de l'environnement ont mis en cause la pollution aux nitrates et les marées vertes, dont elles dénoncent les dangers depuis de longues années. En Bretagne, les animaux d'élevage produisent chaque année environ 227.000 tonnes d'azote, composant principal des nitrates qui polluent les eaux de la région. La moitié de cette pollution vient des lisiers, et l'autre moitié est due pour l'essentiel aux engrais, plus un petit reste (moins de 3%) imputable aux rejets industriels et domestiques. Le lessivage des terres par la pluie entraîne les nitrates dans l'eau de mer, où ils fournissent aux algues vertes l'azote qui les nourrit.

Ces algues se déposent ensuite en tas sur le sable ou la vase et en séchant au soleil, se couvrent d'une croûte étanche à l'air. Sous la croûte, les algues pourrissent et produisent de l'hydrogène sulfuré qui reste enfermé jusqu'à ce que la croûte soit percée accidentellement lorsqu'un animal pose le pied dessus ou, dans le cas des sangliers, y enfonce son groin à la recherche de vers de vase.

Deux chiens ont ainsi été asphyxiés en juillet 2008 sur la plage de la Grandville à Hillion. En 2009, c'est un cheval qui a été tué à Saint Michel en Grève, le cavalier étant heureusement épargné.

Mais la même année, un chauffeur routier, Thierry Morfoisse, a été frappé d'un oedème pulmonaire et d'une crise cardiaque, avec issue fatale, après avoir déchargé trois bennes d'algues vertes. L'enquête a conclu à une mort naturelle, mais les parents de Thierry Morfoisse sont persuadés que le décès de leur fils est lié aux algues vertes. Une plainte contre X a été déposée et une instruction est actuellement ouverte au cabinet d'Anne-Marie Bellot, juge d'instruction au Pôle Santé du Tribunal de Grande Instance de Paris.

Aux yeux des deux associations de défense de l'environnement, les autorités de l'Etat et leurs représentants locaux, ont fait preuve de «laisser aller» et de «complaisance face au lobby agricole», et de ce fait «sont directement responsables de l'augmentation des taux de nitrate qui entraîne par là-même le développement des algues vertes.»

Si cette plainte est la première action au pénal menée par les défenseurs de l'environnement, ce n'est pas la première procédure intentée en rapport avec les algues vertes : dès le 8 mars 2001, la Cour de Justice des communautés européennes a condamné la France pour non respect de la directive de 1975 sur le respect de la qualité des eaux. L'année suivante, la France a encore été condamnée par la Cour européenne.

En 2007, le Tribunal administratif de Rennes a condamné à son tour l'Etat pour n'avoir pas mis en poeuvre dans les délais impartis les programmes d'actons dans les zones vulnérables. Et le même Tribunal a aussi condamné l'Etat à la requête notamment de l'Association de Sauvegarde du Trégor pour sa responsabilité dans la prolifération des algues vertes (condamnation confirmée en appel en 2009).

«Constatant que ces recours adminsitratifs n'ont pas suffi à faire bouger les choses, les associations ont décidé de changer de braquet en mettant en cause la responsabilité personnelle des représentants de l'Etat», explique Yves-Marie Le Lay, président de Sauvegarde du Trégor.