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Michel de Pracontal

Journaliste scientifique, j'ai travaillé à Science et Vie, à L'Evénement du Jeudi, et au Nouvel Observateur (de 1990 à 2009). Je suis aussi auteur de plusieurs livres dont le dernier, Kaluchua, vient de paraître au Seuil. Sur twitter: @MicheldePrac.

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Billet de blog 11 février 2012

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Journaliste scientifique, j'ai travaillé à Science et Vie, à L'Evénement du Jeudi, et au Nouvel Observateur (de 1990 à 2009). Je suis aussi auteur de plusieurs livres dont le dernier, Kaluchua, vient de paraître au Seuil. Sur twitter: @MicheldePrac.

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Samedi-sciences(30): de l'imitation chez le dauphin

Selon Aristote, «l'homme diffère des autres animaux en ce qu'il est le plus apte à l'imitation». Cela ne signifie pas pour autant que les animaux soient incapables d’imiter. Une équipe de dauphins du delphinarium Planète Sauvage, à Port-Saint-Père, près de Nantes, vient d’en apporter une brillante démonstration.

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Journaliste scientifique, j'ai travaillé à Science et Vie, à L'Evénement du Jeudi, et au Nouvel Observateur (de 1990 à 2009). Je suis aussi auteur de plusieurs livres dont le dernier, Kaluchua, vient de paraître au Seuil. Sur twitter: @MicheldePrac.

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Selon Aristote, «l'homme diffère des autres animaux en ce qu'il est le plus apte à l'imitation». Cela ne signifie pas pour autant que les animaux soient incapables d’imiter. Une équipe de dauphins du delphinarium Planète Sauvage, à Port-Saint-Père, près de Nantes, vient d’en apporter une brillante démonstration. Péos (dont le nom signifie pénis en grec, mais c’est sans rapport), Mininos, Cécil, Teha et Amtan savent reproduire les sons d’une baleine à bosse !

Illustration 1
Un des dauphins de Planète Sauvage © DR

Ce fait remarquable – cf. notre chronique audio dans «Ecouter Mediapart» - a été analysé en détail par Martine Hausberger et ses collègues du laboratoire d’éthologie animale et humaine de l’université de Rennes. Les résultats de leurs observations, publiés dans la revue Frontiers in comparative psychology, démontrent clairement que les dauphins ne se sont pas contentés de copier un son immédiatement après l’avoir entendu. Ils l’ont reproduit plusieurs heures après, comme s’ils l’avaient mémorisé.

Les dauphins de Planète Sauvage, trois mâles et deux femelles âgés de 5 à 25 ans, ont été élevés en captivité. Ils évoluent dans un bassin de L’installation fait 2000 mètres carrés, dans lequel ils exécutent deux ou trois fois par jour un numéro de spectacle: nage à grande vitesse, sauts, jeux de ballons, vocalisations diverses. Au début du numéro, pendant que les spectateurs s’installent dans les gradins, une bande sonore d’une vingtaine de minutes est diffusée.

Cette bande sonore comporte de la musique, des cris de mouettes, des sifflements de dauphins, ainsi qu’une séquence d’une durée de 14 secondes constitués de cinq appels de baleine à bosse, séquence qui repasse huit fois sur la bande, soit une durée totale d’environ deux minutes. La baleine à bosse, également appelée jubarte, est une grande baleine à fanons, dont la taille atteint 13 à 14 mètres pour un poids de 25 tonnes. C’est une espèce migratrice, qui passe les étés dans les eaux froides des hautes latitudes, tandis qu’elle s’accouple et se reproduit dans les eaux tropicales ou sub-tropicales.

Cette grande voyageuse peut parcourir couramment plus de 25.000 km par an, et ne s’élève pas en captivité. Péos et ses compagnons n’ont donc pas eu l’occasion d’entendre des appels de baleine à bosse autrement que sous forme d’enregistrement sur la bande-son du spectacle, qui est utilisée depuis février 2009. Soulignons que les appels et les chants des baleines à bosse sont très différents de ceux des dauphins, même pour une oreille humaine.

Illustration 2
Saut de dauphin à Planète Sauvage © DR

Les éthologues rennais ont placé des hydrophones dans le bassin pour enregistrer les sons émis par les cinq dauphins. Or, ils ont constaté que pendant la nuit, le plus souvent entre 1 h et 3 h du matin, les dauphins produisaient des sons inhabituels qui ressemblaient étrangement aux appels de baleines à bosse figurant sur la bande sonore du spectacle.

Cette ressemblance a été vérifiée par une analyse spectrographique. Cette analyse a montré clairement que les caractéristiques acoustiques des imitations faites par Péos et ses compagnons étaient plus proches de celles des appels de baleine que de celles des sons normaux de dauphins.

Pour confirmer cette analyse, Martine Hausberger et ses collègues ont recruté une vingtaine d’auditeurs, étudiants ou chercheurs en biologie du comportement, qui n’étaient pas familiarisés avec les chants de cétacés. Les éthologues ont fait écouter aux auditeurs un échantillon de «son baleine» et un autre de «son dauphin».  Puis ils leur ont fait entendre, sans leur indiquer de quoi il s’agissait, des sons des deux espèces ainsi que des sons de dauphins imitant la baleine. Résultat sans ambiguïté : les trois quarts des imitations ont été classées par les auditeurs comme des sons de baleine à bosse.

Illustration 3
Baleine à bosse © Louis M. Herman/NOAA

Il est donc avéré que les dauphins sont capables d’imiter les vocalises d’une autre espèce. Et cette imitation se produit en différé, ce n’est pas une reproduction immédiate. La même aptitude a été observée connue depuis longtemps chez plusieurs espèces d’oiseaux. On a déterminé aussi, chez des oiseaux, que les mêmes neurones étaient activés pendant le sommeil et pendant la veille lorsqu’ils reproduisaient un chant, d’où l’idée que les imitations au repos seraient une sorte de répétition, participant à un processus de mémorisation.

Cela se produit-il pour les dauphins ? Revivent-ils  leurs expériences diurnes pendant qu’ils se reposent ? La question est encore non résolue. Ce type de phénomènes de mémorisation, tel qu’on l’a observé chez les oiseaux, est associé au sommeil paradoxal (caractérisé par des mouvements rapides des yeux et, chez l’homme, des rêves). On sait que lorsqu’on entraîne, sur plusieurs jours, des dauphins à exécuter un exercice, ils le réussissent mieux le matin, après avoir dormi. C’est une indication, mais pour en savoir davantage, les éthologues devront mener de nouvelles études, en combinant des enregistrements d’électro-encéphalogrammes au recueil des sons émis par les dauphins pendant leur sommeil. On pourra alors dire si les dauphins, comme les oiseaux et les écoliers, apprennent pendant leur sommeil.