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Le gibbon de Hainan est aujourd’hui le primate le plus rare au monde, et seule une action rapide peut lui épargner l’honneur peu enviable de devenir la première espèce de grand singe balayée de la surface du globe par les effets de l’activité humaine. Selon les zoologues, l’espèce (Nomascus hainanus) ne compterait plus que 23 à 25 individus, reclus dans moins de 20 kilomètres carrés de forêt sur l’île tropicale de Hainan, au sud de la Chine. Selon la revue Nature, un colloque international a réuni à Hainan, fin mars, des primatologues et des chercheurs en biologie de la conservation afin d’élaborer un plan de sauvetage de cette espèce menacée.
A la fin des années 1950, la population de gibbons de Hainan était évaluée à plus de 2000 animaux. Leur habitat a été en grande partie détruit par l’exploitation forestière et l’espèce a été décimée par le braconnage. Elle est aujourd’hui protégée, mais le risque majeur tient à ce qu’une toute petite population est rassemblée en un lieu unique. Il suffirait d’un seul événement catastrophique tel qu’une épidémie ou un typhon pour faire disparaître les derniers survivants. De plus, cette petite population pourrait être affectée par une trop faible diversité génétique, avec des effets délétères dus à la consanguinité. Des chercheurs de la Société zoologique de Londres (ZSL) mènent actuellement des études sur l’ADN des gibbons pour mieux connaître leur génétique.
Selon Bosco Chan, spécialiste de la conservation à Hong Kong (Kadoorie Farm and Botanic Garden), l’une des principales difficultés est de trouver des forêts dans lesquelles la population de gibbons de Hainan puisse à nouveau se développer. Leur habitat actuel n’est pas idéal. Au départ, les gibbons vivaient principalement dans des forêts à basse altitude. Chassés par la déforestation, ils se sont réfugiés dans des zones plus hautes, où ils ne bénéficient pas des mêmes ressources. Par exemple, les fruits charnus qu’ils préfèrent sont moins abondants dans ces forêts d’altitude.
Malgré ces difficultés, Samuel Turvey, qui étudie l’extinction des espèces animales à la ZSL, estime qu’il est encore possible de restaurer la population des gibbons de Hainan. Dans un premier temps, les scientifiques vont modéliser les effectifs potentiels de la population selon plusieurs scénarios. Une étude préliminaire montre que, sauf catastrophe, le gibbon de Hainan pourrait échapper à l’extinction au cours des vingt prochaines années.
Signe encourageant : Bosco Chan indique qu’en 2003, il ne dénombrait que 13 gibbons de Hainan, alors qu’il en a recensé 23 l’année dernière. Mais il est clair que tant que la population se comptera en dizaines, sa survie restera précaire. La Chine a subi de grandes pertes de biodiversité au cours des dernières décennies, du fait de son développement industriel accéléré. Le dauphin de Chine, ou baiji (Lipotes vexilifer), cétacé d’eau douce qui vivait dans le Yangzi Jiang (ou Yang-Tsé-Kiang), a disparu depuis 2007.
On peut cependant espérer que le gibbon de Hainan bénéficiera de l’intérêt croissant de la Chine pour la biodiversité et la conservation des espèces, qui a permis notamment de sauver le panda géant. Si le plan des conservationnistes échoue, il restera une ultime possibilité : faire revivre l’espèce grâce au clonage. C’est ce que s’apprête à tenter une équipe espagnole menée par le vétérinaire Alberto Fernandez-Arias avec une autre espèce, le bouquetin des Pyrénées (Capra pyrenaica pyrenaica). Le dernier représentant de cette espèce de chèvre de montagne, une femelle nommée Celia, est mort en 2000, le crâne fracassé par la chute d’un arbre.

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Des cellules de l’animal ont été prélevées et congelées. En 2003, une première tentative de clonage a donné naissance à une jumelle de Celia, mais elle est morte au bout de quelques minutes d’une malformation des poumons. L’équipe espagnole a entrepris un nouvel essai, décrit dans la revue Science. Début mars, plusieurs embryons clonés à partir des cellules de Celia ont été implantés dans des mères porteuses. L’espèce étant éteinte, les mères porteuses sont des chèvres hybrides entre une espèce domestique et une sous-espèce très proche du bouquetin des Pyrénées.
Le 14 avril, l’équipe effectuera des échographies pour savoir si les embryons implantés se développent. Même si l’opération aboutissait à la naissance d’un bouquetin des Pyrénées génétiquement authentique et en bonne santé, cela ne suffirait pas à ressusciter l’espèce : un individu isolé, ou même plusieurs jumelles aux gènes identiques, ne constitueraient pas une population viable. Pour s’en approcher, les chercheurs envisagent de réaliser plusieurs clonages à partir de l’ADN de spécimen de bouquetin des Pyrénées conservés dans des musées. On pourrait ainsi reconstituer une partie de la diversité génétique d’une population naturelle. Dans un deuxième temps, les bouquetins clonés seraient replacés dans un habitat sauvage, ainsi que cela a été fait pour d’autres populations animales captives, comme les condors.
La « désextinction » des espèces par le clonage semble cependant très aléatoire, et Alberto Fernandez-Arias n’y a recouru qu’en dernière extrémité, après avoir tenté pendant des dizaines d’années de sauver le bouquetin des Pyrénées. On peut donc souhaiter que le gibbon de Hainan rejoigne le panda géant parmi les icônes de la conservation, et ne devienne pas un nouveau candidat au clonage.