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Michel de Pracontal

Journaliste scientifique, j'ai travaillé à Science et Vie, à L'Evénement du Jeudi, et au Nouvel Observateur (de 1990 à 2009). Je suis aussi auteur de plusieurs livres dont le dernier, Kaluchua, vient de paraître au Seuil. Sur twitter: @MicheldePrac.

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Billet de blog 12 juillet 2014

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Samedi-sciences (138): un projet européen sur le cerveau contesté

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Rien ne va plus au sein du projet HBP, ambitieux programme de recherche européen qui a pour objectif de simuler le cerveau humain sur ordinateur. Le projet suscite un grand intérêt, car on espère qu’il aidera à mieux comprendre le fonctionnement du cerveau et les pathologies cérébrales.

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Un laboratoire de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne © Reuters

Le HBP (Human brain project), dont le coût est estimé à 1,2 milliards d’euros en dix ans, est financé par l’Union européenne et la Suisse, avec des partenaires aux Etats-Unis ou au Canada, et piloté à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Or, ce projet-phare, qui associe environ 80 organismes de recherche, est en pleine crise : une lettre ouverte publiée le 7 juillet, qui critique la gouvernance du projet et lui reproche une approche trop étroite, a recueilli  plus de 600 signatures de chercheurs européens, israéliens ou nord-américains.

En fait, le HBP a suscité une controverse dès le départ au sein de la communauté européenne des neurosciences. C’est, avec l’initiative américaine BRAIN (Brain research through advancing innovatives neurotechnologies), l’un des deux plus grands projets de recherche sur le cerveau en cours dans le monde. Le projet HBP a été lancé par Henry Markram, de l’Institut fédéral suisse de technologie, avec une orientation très axée sur la modélisation informatique, choix contesté par de nombreux chercheurs en neurosciences. Pour Markram, l’objectif central du projet est de simuler le fonctionnement de la totalité du cerveau humain dans un ordinateur. Mais de nombreux chercheurs en neurosciences pensent que cette idée ne peut aboutir.

Le Français Stanislas Dehaene, directeur de l’unité d’imagerie cognitive (Inserm et CEA), interrogé dans la revue Nature, juge que cette approche par simulation « sans être totalement inutile, ne permettra pas d’élucider les fonctions et les maladies du cerveau, de même que la simulation de chaque plume d’un oiseau n’expliquerait pas le vol ».

Peter Dayan, chercheur à l’University College de Londres, et signataire de la lettre ouverte, a critiqué la démarche de Markram dès le début. Il estime que l’approche du projet américain BRAIN est meilleure, en particulier parce que le choix adopté est de développer des techniques pour étudier le cerveau lui-même, par exemple pour enregistrer l’activité d’un groupe de neurones, plus tôt que d’essayer de le simuler sur ordinateur. « L’idée que nous connaissons suffisamment le cerveau pour savoir ce que nous devrions simuler est franchement folle », déclare Dayan dans un article de la revue Science.

Illustration 2
Henry Markram © Denis Balibouse/Reuters

Les dirigeants du projet, et Markram en premier lieu, n’ont pas tenu compte des avertissements des neurologues. Fin mai, le bureau exécutif du HBP a décidé de réorganiser le projet et a supprimé un volet consacré aux neurosciences cognitives. Ce volet était dirigé par Stanislas Dehaene. Selon Nature, Dehaene a de ce fait retiré sa participation à la suite du projet, sans toutefois signer signer la lettre ouverte. Dehaene s’est dit consterné par « le niveau sans précédent de bureaucratie, de charabia et l’absence d’examen transparent et démocratique » dont témoigne la gouvernance du projet. Et il juge qu’il « était inutile de réécrire le projet à peine quelques mois après son lancement. »     

Les signataires de la lettre ouverte jugent aussi que la gestion du projet par Markram est autocratique, scientifiquement inappropriée, et peu transparente. L’intéressé réfute ces accusations et réplique que les critiques expriment une conception minoritaire. D’après lui, le problème vient surtout de ce que les spécialistes de neurosciences cognitives, comme Dehaene, n’acceptent pas l’idée de base du projet, qui est de « créer une plateforme commune pour toutes les neurosciences » à  partir de la modélisation informatique. Mais un autre scientifique, Zachary Mainen (Centre de recherches Champalimaud, Lisbonne), affirme que le projet « n’est pas démocratique, c’est le jeu de Henry (Markram), et si vous n’êtes pas convaincu par ses arguments il ne vous reste qu’à partir. » Pour Mainen, le projet devrait représenter les conceptions de l’ensemble de ses membres et de la communauté des neurosciences en général, en non celles du bureau exécutif.

Toujours est-il que l’objectif de ce projet-phare européen était de réunir l’ensemble des spécialistes de neurosciences pour tenter de comprendre les mystères du cerveau. C’est dans cette perspective que la Commission européenne a décidé en janvier 2013 de soutenir ce projet (en même temps qu’un autre grand projet scientifique consacré aux applications du graphène). Par le nombre de chercheurs mobilisés et le volume des ressources dont il dispose, le HBP peut jouer un rôle important pour le développement des recherches sur le cerveau. En ce sens, c’est une initiative prometteuse.

Mais encore faut-il que l’orientation scientifique du sujet soit pertinente. Un certain nombre de chercheurs jugent que simuler en détail le fonctionnement des neurones ne permettra pas de comprendre comment marche le cerveau. Pour Zachary Mainen, le problème est encore plus aigu. D’après lui, le projet a été survendu au départ, mais n’a en fait rien de révolutionnaire, comme il l’explique au magazine Discover : il s’agit seulement de construire des bases de données et de simuler des parties du cerveau, ce que l’on fait déjà depuis vingt ans. Mainen considère l’initiative BRAIN lancée aux Etats-Unis comme plus prometteuse, notamment parce qu’elle repose sur une approche plus ouverte et plus flexible.

L’avenir dira si le projet européen, dont le financement n’est pas encore assuré à terme, peut se remettre sur ses rails. Les signataires de la lettre ouverte menace de boycotter le projet si leurs demandes ne sont pas satisfaites. La Commission ne finance que la moitié du programme, l’autre moitié deavant être assurée par les Etats membres, sous forme de crédits de recherche attribués aux laboratoires qui s’engagent dans le projet. Si un grand nombre de laboratoires de neurosciences refusent de participer au HBP,n celui-ci risque donc de voir son avenir compromis. On n’en est pas là, mais il existe un risque que ce projet fédérateur devienne une occasion manquée.

 Samedi-sciences sera en congé estival à partir du 19 juillet; prochain rendez-vous le 16 août.