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Martiens, Go home ! est le titre d’un roman désopilant de Fredric Brown publié en 1954 dans la célèbre revue américaine de science-fiction Astounding. Il raconte l’arrivée inopinée de petits hommes verts qui se rendent insupportables en jouant toutes sortes de mauvais tours aux malheureux Terriens, en se moquant d’eux et en dévoilant l’hypocrisie de la société. Ce livre savoureux est un hommage parodique au grand mythe contemporain des extra-terrestres, mythe dont l’une des sources principale est l’observation, au XIXème siècle, de structures rectilignes à la surface de Mars, appelées « canaux » (canali) par l’astronome italien Giovanni Schiaparelli.
Les prétendus canaux martiens ont nourri les théories relatives à une hypothétique vie sur la planète rouge. L’hypothèse a été vulgarisée par Camille Flammarion (1842-1925) dans deux livres à succès, La pluralité des mondes habités et La planète Mars et ses conditions d’habitabilité. Depuis, les spéculations sur les possibilités de vie sur Mars n’ont jamais cessé, régulièrement alimentées par les découvertes scientifiques.
L’un des éléments clés de la discussion est la question de savoir s’il a existé sur Mars de vastes étendues d’eau liquide. On sait en effet que le fait que la Terre ait été très tôt en grande partie recouverte d’océans a joué un rôle décisif dans l’apparition de la vie sur notre planète. On a d’abord pensé qu’il en avait été de même pour Mars.
A la différence de la Terre, Mars n’a plus d’océans aujourd’hui. Elle est trop froide pour posséder de vastes étendues d’eau liquide. Mais a-t-elle été plus chaude dans le passé ? A-t-elle pu posséder des rivières, des lacs, ou même des océans ?
«Il n’y a pas de débat scientifique sur la planète Mars actuelle : il est clair que l’eau présente à sa surface est essentiellement sous forme de glace, explique François Forget, du Laboratoire de Météorologie Dynamique de l’université Paris-6. La question est de savoir si le climat martien a pu être plus chaud dans le passé. Pouvait-il exister de l’eau liquide en grande quantité sur Mars il y a trois ou quatre milliards d’années ? »
Cette question a suscité une fièvre scientifique dans la période récente. Les sondes spatiales des années 1960 et 70 ont montré une surface martienne sèche et dure, assez similaire à celle de la Lune. Puis, à la fin des années 1990, les caméras à haute résolution de Mars Global Surveyor ont révélé des réseaux de vallées ramifiées. Les géologues estiment que ces formations ont été façonnées par des écoulements d’eau, ce qui impliquerait qu’il ait existé des rivières et des précipitations sur Mars.
Ces indices géologiques conduisent à supposer que le climat de la planète Mars primitive était assez chaud pour permettre l’existence d’eau liquide en quantité assez importante. Pour que ce soit possible, il faut admettre que l’épaisse atmosphère martienne produisait un effet de serre important.
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Mais un nouveau modèle mis au point par l’équipe de François Forget met en cause cette hypothèse (ce travail, qui doit être publié prochainement dans la revue Icarus, est présenté dans un article de la revue Nature du 11 avril 2012). Le modèle prend en compte un grand nombre de données de manière à produire une simulation la plus approchante possible du climat martien ancien. En particulier, le fait que Mars possédait une épaisse atmosphère constituée principalement de gaz carbonique et que le soleil était moins chaud qu’aujourd’hui.
La principale conclusion qui résulte du modèle de François Forget et ses collègues est la suivante : non seulement il n’a pas pu exister d’océan martien, mais aucune combinaison de paramètres ne permet d’obtenir des températures assez élevées pour expliquer des flux d’eau liquide suffisants pour avoir produit les réseaux de vallées observées à la surface de Mars.
Selon le modèle climatique de Forget, la température moyenne de la planète était partout inférieure à 0°C. «Il faut imaginer sur toute la planète un climat un peu similaire à celui des vallées antarctiques actuelles, qui sont toujours en-dessous de 0°C, même l’été », explique François Forget.
Sous un tel climat, l’eau ne peut exister durablement que sous forme de glace ou de neige, et l’eau liquide ne peut se former que de manière épisodique. D’où un nouveau mystère martien : comment se sont formées les vallées en réseau, s’il n’y a pas eu d’écoulement d’eau important à la surface de Mars ?
Trois pistes peuvent permettre de trouver une explication à cette énigme : primo, la planète Mars primitive a subi, comme la Terre, un bombardement météoritique qui aurait pu modifier le climat et la quantité d’eau liquide à sa surface; secundo, il est possible que le soleil ait été plus chaud qu’on ne l’estime aujourd’hui, même si cela semble peu probable ; tertio, l’activité volcanique de la planète rouge a pu faire fondre de la glace et permettre des écoulements d’eau liquide importants.
Les chercheurs n’ont pas de réponse définitive au mystère des vallées martiennes. Même si la planète rouge n’a jamais eu de lacs ni d’océans, cela n’exclurait pas définitivement la possibilité d’une forme de vie martienne. Mais les actions des petits hommes verts, frigorifiés sur leur planète polaire, sont clairement orientées à la baisse.