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Michel de Pracontal

Journaliste scientifique, j'ai travaillé à Science et Vie, à L'Evénement du Jeudi, et au Nouvel Observateur (de 1990 à 2009). Je suis aussi auteur de plusieurs livres dont le dernier, Kaluchua, vient de paraître au Seuil. Sur twitter: @MicheldePrac.

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Billet de blog 14 juillet 2012

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Samedi-sciences (51): la boussole des poissons

Une équipe de chercheurs allemands, américains, britanniques et français a détecté et isolé, chez la truite arc-en-ciel, des cellules magnétiques qui ont très probablement une fonction de boussole permettant au poisson de s’orienter au cours d’un long trajet. Si le sens magnétique des animaux est connu de longue date, c’est la première fois que l’on réussit à caractériser aussi précisément les cellules magnétoréceptrices présentes chez une espèce animale.

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Illustration 1
Cristaux de magnétite (en blanc) dans des cellules de truite arc-en-ciel © Hervé Cadiou

Une équipe de chercheurs allemands, américains, britanniques et français a détecté et isolé, chez la truite arc-en-ciel, des cellules magnétiques qui ont très probablement une fonction de boussole permettant au poisson de s’orienter au cours d’un long trajet. Si le sens magnétique des animaux est connu de longue date, c’est la première fois que l’on réussit à caractériser aussi précisément les cellules magnétoréceptrices présentes chez une espèce animale.

Ce travail passionnant vient d’être publié dans Pnas, la revue de l’académie des sciences des Etats-Unis (présentation dans Science ici). On savait déjà que des oiseaux migrateurs comme le rouge-gorge (Erithacus rubecula) ou la fauvette des jardins ( Sylvia borin ) utilisent le champ magnétique terrestre pour se repérer dans l’espace. Le pigeon voyageur possède une sorte de compas biologique qui lui fournit une aide à la navigation. Cette capacité existe aussi chez les poissons.

La truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) passe deux ou trois ans dans la mer avant de regagner son lieu de naissance en eau douce pour frayer. Ce retour peut nécessiter un parcours de centaines de kilomètres, que le poisson effectue sans se perdre, grâce à son excellente vue et son odorat aiguisé, mais aussi grâce à sa « boussole » qui lui indique la direction générale.

Illustration 2
Truite arc-en-ciel © Engbretson, Eric / U.S. Fish and Wildlife Service

« Depuis longtemps, des expériences comportementales ont mis en évidence un sens magnétique chez de nombreuses espèces animales, des mollusques au mammifères, explique Hervé Cadiou, l’un des scientifiques qui ont conçu cette recherche. Ces expériences ont montré que les animaux doté de ce sens sont capables de repérer la direction du pôle magnétique, mais peuvent aussi détecter de petites variations locales du champ magnétique terrestre. Ce dernier constitue une sorte de paysage permanent, dont l’aspect est indépendant du temps qu’il fait, de la luminosité.  Pouvoir détecter ce paysage est très utile pour des animaux aquatiques ou sous-terrains, qui sont dans un environnement où la visibilité est mauvaise. Egalement pour les oiseaux migrateurs, qui peuvent manquer de repères visuels à certains moments de leur trajet. »

C’est chez les oiseaux que le sens magnétique est le plus spectaculaire, et il a été étudié dans près d’une trentaine d’espèces. Mais même les mammifères peuvent manifester un sens analogue. Une sensibilité magnétique a été observée chez les vaches, par exemple. A l’autre bout de la chaîne animale, on connaît des bactéries douées de magnétoréception.

« Si la capacité à détecter le champ magnétique terrestre et à s’en servir pour s’orienter est apparemment très répandue dans le monde animal, on a très peu de données sur la nature précise des organes magnétorécepteurs et sur leur physiologie, poursuit Hervé Cadiou. Autrement dit, de quoi sont faits les “capteurs magnétiques” des animaux, et comment fonctinnent-ils ? On a détecté de la magnétite dans des tissus de différentes espèces, mais encore fallait-il identifier les cellules porteuses de ces cristaux de magnétite. »

Illustration 3
Rouge-gorge en Norvège © Ernst Vikne

Il y a dix-quinze ans, une équipe animée notamment par le Néo-Zélandais Michael Walker a mis en évidence des cellules porteuses de cristaux de magnétite (oxyde de fer Fe3O4) dans l’épithélium olfactif de la truite arc-en-ciel. Restait à pister ces cellules pour pouvoirles observer individuellement.  C’est ce qu’ont réalisé Hervé Cadiou et ses collègues. 

« J’ai commencé à travailler sur ce sujet alors que j’étais à l’université de Cambridge (Royaume-Uni), raconte Hervé Cadiou. Nous avons mis au point une technique optique permettant de détecter la magnétite avec un laser. C’était la première étape, mais il fallait ensuite pouvoir démontrer que les cellules porteuse de ces cristaux de magnétite étaient réellement sensibles aux champs magnétiques. »

L’étape suivante a consisté à dissocier délicatement les cellules de l’épithélium olfactif et à les mettre dans une suspension. On applique alors à la suspension un champ magnétique en rotation, et on observe que certaines cellules tournent en phase avec le champ.

Les cellules en rotation ont été étudiée au microscope. Les chercheurs ont fait deux découvertes intéressantes : d’une part, les cristaux de magnétite se trouvent situées près de la membrane cellulaire ; d’autre part, le moment magnétique des cellules est plus important que ce qui était prévu.

Ce dernier point signifie que les celluiles magnétiques de la truite arc-en-ciel sont apparemment des capteurs très efficaces qui pourraient détecter non seulement la direction du nord magnétique, comme une boussole, mais aussi les petites variations locales du champ magnétique terrestre. Ce seraient donc des organes magnétorécepteurs sophistiqués, qui expliquent les remarquables performance de navigation du poisson.

Il reste à étudier plus profondément la physiologie de ces cellules. Hervé Cadiou, qui a quitté l’université de Cambridge pour celle de Strasbourg, souhaite poursuivre ces travaux pour élucider le fonctionnement précis de la boussole animale. « Il est intéressant de savoir, ajoute-t-il, que ces recherches n’ont pas seulement un intérêt zoologique, pour comprendre le comportement des animaux migrateurs. Elles pourraient aussi trouver des applications médicales. En effet, si l’on attachait des molécules d’intérêt thérapeutique à ces cellules, on pourrait ensuite les guider dans le cerveau en se servant de champs magnétiques. Potentiellement, ces cellules peuvent fournir un outil, par exemple, pour transporter un produit anti-cancéreux sur une tumeur cérébrale, qui serait difficilement accessible ou complètement inaccessible par chirurgie. »

 Ce n’est encore qu’une idée de recherche, mais prometteuse. Les cellules magnétoréceptrices de la truite arc-en-ciel fournissent un exemple remarquable de recherche scientifique dans laquelle l’observation désintéressée de la nature peut déboucher sur une application utile.