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Michel de Pracontal

Journaliste scientifique, j'ai travaillé à Science et Vie, à L'Evénement du Jeudi, et au Nouvel Observateur (de 1990 à 2009). Je suis aussi auteur de plusieurs livres dont le dernier, Kaluchua, vient de paraître au Seuil. Sur twitter: @MicheldePrac.

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Billet de blog 16 janvier 2016

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Samedi-sciences (196): des chasseurs de mammouths en Arctique il y a 45 000 ans

Les restes d’un mammouth retrouvés en Arctique sibérien, datés de 45 000 ans, portent les traces de blessures infligées par des chasseurs humains. Les scientifiques pensaient jusqu’ici que notre espèce ne s’était pas aventurée dans cette région glaciale il y a plus de 30 000 ou 35 0000 ans. En réalité, des hommes ont réussi à survivre en Arctique au moins 10 000 ans plus tôt que l’on croyait.

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Illustration 1
Excavation de la carcasse du mammouth © Science

Les restes d’un mammouth retrouvés en Arctique sibérien, datés de 45 000 ans, portent les traces de blessures infligées par des chasseurs humains. Les scientifiques pensaient jusqu’ici que notre espèce ne s’était pas aventurée dans cette région glaciale il y a plus de 30 000 ou 35 0000 ans. En réalité, des hommes ont réussi à survivre en Arctique au moins 10 000 ans plus tôt que ce que l’on croyait.

Le mammouth, découvert dans la glace par un gamin de onze ans qui se promenait sur la côte brumeuse de la baie de Yenisei, à quelque 2000 kilomètres au sud du Pôle nord, a été étudié par l’équipe de Vladimir Pitulko, archéologue à l’Institut d’Histoire de la culture matérielle, à Saint-Pétersbourg.

Pitulko et ses collègues viennent de publier les résultats de leurs travaux dans la revue américaine Science. Le mammouth a été retrouvé près de la station météorologique de Sopochnaya Karga, et les chercheurs l’appellent « mammouth SK ». Le squelette est remarquablement complet, et l’on a retrouvé aussi une partie des tissus mous, notamment la bosse graisseuse et le pénis. Les restes montrent que le mammouth devait être un jeune mâle d’une quinzaine d’années en bonne santé – du moins avant avant d’être attaqué par des chasseurs.

Illustration 2
Site de la découverte du mammouth SK © Science

Les os du mammouth SK portent les marques de blessures dont on peut affirmer avec certitude qu’elles ont été causées par des pointes de flèches ou de lances, en particulier sur les côtes et l’os jugal (celui qui forme la pommette) gauche. Cet os présente une blessure inhabituelle, qui a la forme d’un trou rond, et doit avoir été causée par une arme pointue et tranchante, de forme conique. La pointe, en os ou en ivoire, est entrée profondément dans l’os sans se briser. Le coup a dû être porté avec une grande force, et pendant que l’animal était couché au sol.

L’hypothèse des chercheurs est que le chasseur visait la base de la trompe, et a manqué son coup. Il s’agit d’une technique de chasse encore pratiquée en Afrique, dans laquelle une blessure à la base de la trompe provoque une hémorragie mortelle.

Avant ce coup mortel, le mammouth SK a reçu une série d’autres blessures aux côtes et à l’omoplate. La plus remarquable apparaît sur la cinquième côte gauche : elle a été provoquée par un coup tranchant porté de manière oblique, qui a traversé la peau et les muscles pour endommager l’os. Une blessure similaire mais plus petite se voit sur une autre côte. L’omoplate gauche a aussi été frappée, au moins trois fois, et la forme des blessures indique que les armes utilisées étaient des lances légères. L’épine de l’omoplate porte une autre blessure qui a dû être provoquée par un coup de lance porté directement, à hauteur d’épaule humaine.

Illustration 3
Localisation des blessures sur le mammouth SK; lésions avant la mort (flèches rouges) et postmortem (flèches bleues). © Science

Les restes du mammouth SK présentent aussi des dommages infligés après la mort de l’animal. La mandibule est brisée, alors que cet os est solide et généralement retrouvé entier, ce qui suggère que la langue a pu être coupée et consommée par les chasseurs. La seule défense retrouvée, la droite, porte les traces de modifications humaines : des morceaux de cette défense ont été retirés, peut-être pour fabriquer des outils d’ivoire.  

Pour les chercheurs, l’ensemble de ces blessures démontre de manière certaine que le mammouth SK a été attaqué et tué par des chasseurs. Or, le tibia de l’animal a pu être daté directement : il remonte à 45 000 ans, ce qui concorde avec la datation du site.

« Prises ensemble, ces découvertes ne laissent aucun doute sur la présence humaine dans l’Arctique sibérien central [il y a 45000 ans] », écrivent Vladimir Pitulko et ses collègues.

Dans un commentaire pour Science, Pitulko estime qu’il s’agit d’un « rare cas de preuve sans ambiguïté d’une intervention humaine ». Selon le chercheur, les mammouths et d’autres grands animaux tels que les rhinocéros laineux et les rennes ont pu être l’aimant qui a attiré les anciens chasseurs vers le Grand Nord : « la chasse au mammouth jouait un rôle important de la stratégie de survie, pas seulement pour la nourriture, mais pour obtenir l’ivoire dont ils avaient désespérément besoin pour fabriquer leur équipement de chasse », dit Pitulko.