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Une équipe de chercheurs de l’université de Porto Rico menée par Mitchell Aide et Carlos Corrada-Bravo a mis au point un système d’écoute électronique qui permet de surveiller une espèce dans son milieu naturel sans avoir besoin d’être présent sur place. Grâce à ce dispositif, Aide et Corrada-Bravo espèrent fournir aux scientifiques un moyen économique et efficace de recueillir de nombreuses informations sur le devenir d’espèces menacées par les effets du changement climatique.
Illustration : dans le marais de Sabana Seca, à Porto Rico, une petite grenouille brun clair connue sous le nom de Coqui llanero émet une vocalise caractéristique ; le son est capté par un micro connecté à un ipod, puis transmis à un ordinateur installé à plusieurs kilomètres ; grâce à un programme spécial, l’espèce à laquelle appartient la grenouille est identifiée et le son est archivé. Le tout de manière entièrement automatique, sans qu’aucun scientifique ait à se déplacer ou à effectuer la moindre opération (un enregistrement sonore peut être écouté ici).
Le système a été appelé « Arbimon » (« automated remote biodiversity monitoring network », ou réseau automatique de surveillance à distance de la biodiversité). Depuis 2008, les chercheurs ont utilisé Arbimon pour espionner les grenouilles Coqui llanero de Sabana Seca. L’espèce, dont le nom scientifique est Eleutherodactylus juanariveroi, est considérée comme en danger. D’après les données recueillies par Mitchell Aide et ses collègues, le nombre d’appels lancés par les grenouilles a diminué fortement entre 2008 et 2012, ce qui indique une baisse de la reproduction et donc des effectifs de l’espèce. Depuis 2013, les appels des grenouilles sont redevenus plus fréquents. Cet exemple montre comment le système permet de surveiller l’évolution d’une population animale sensible aux variations climatiques.
Il comporte une station mobile placée sur le terrain, qui communique par radio avec une station fixe. Le dispositif mobile est constitué d’un micro, d’un ipod, d’un convertisseur de tension, d’une antenne et d’une batterie, le tout logé dans une malette étanche. La batterie est rechargée grâce à un panneau solaire. La station mobile effectue un enregistrement audio d’une minute toutes les dix minutes, soit 144 enregistrements par jour. Ils sont retransmis en temps réel à la station fixe. L’antenne permet une bonne communication jusqu’à deux kilomètres si la végétation est dense et jusqu’à 40 kilomètres en espace découvert.
La station de base retransmet ensuite les données acoustiques par Internet au serveur Arbimon, à l’université de Porto Rico. Là, les données sont analysées grâce à un programme qui est capable de reconnaître les sons caractéristiques d’une espèce. Jusqu’ici, le système Arbimon a pu identifier automatiquement plusieurs espèces de grenouilles, d’oiseaux et une espèce de singe hurleur (Alouatta palliata).
Les performances du système sont bonnes, puisque la précision varie, selon les espèces, entre 76% et 100%. Mais lorsque le bruit de fond est important, le logiciel commet des erreurs, soit en n’identifiant pas un appel qui a pourtant été enregistré, soit au contraire en croyant « entendre » un appel qui n’existe pas (faux positif). Le moins bon score de précision a été obtenu pour le singe hurleur, avec 76%, à cause d’un nombre élevé de faux positifs.
Malgré ses limites, les chercheurs portoricains sont convaincus que le système Arbimon va permettre d’améliorer notre connaissance de la biodiversité et du devenir des espèces sensibles au changement climatique. Il est vrai que ce système permet de recueillir un grand nombre de données avec une station mobile qui coûte moins de 4 000 euros, ce qui est plus accessible que de mobiliser des chercheurs de terrain. Et ces derniers ne pourraient pas écouter une espèce dans son biotope de manière ininterrompue pendant des années. Certes, le système électronique peut aussi tomber en panne : la surveillance effectuée sur cinq ans à Sabana Seca a fonctionné pendant 60 à 70% du temps, du fait de pertes de courant dues à la couverture nuageuse ou à des végétaux qui ont empêché le panneau solaire de fonctionner, ou à des pannes diverses.
Au total, cependant, un tel dispositif permet une moisson considérable de données. Le système enregistre un environnement sonore de manière répétée et sur une longue durée. Il fournit ainsi une sorte de musée acoustique ouvert à tous les chercheurs : les données Arbimon sont en accès libre, et peuvent être étudiées par tous les scientifiques qui s’y intéressent. Cela peut permettre des usages multiples : même si l’objectif initial est de suivre une espèce particulière (comme dans le cas des grenouilles), d’autres espèces seront présentes sur les mêmes enregistrements et pourront donner lieu à d’autres analyses. De plus, les enregistrements étant archivés de manière permanente, ils pourront toujours être réanalysés pour examiner de nouvelles questions ou améliorer l’interprétation des données.
Mitchell Aide imagine que dans le futur, Arbimon pourrait devenir l’équivalent pour la biodiversité d’un réseau de stations météo, permettant à de nombreux scientifiques d’étudier des masses de données inaccessibles jusqu’ici.
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