Pour la première fois, les neurobiologistes disposent d’une carte tridimensionnelle du cerveau qui permet d’identifier des détails à une échelle proche de celle de la cellule, un peu comme Google Street View permet de voir les maisons d’une rue.
Appelé « BigBrain » (« grand cerveau »), cet atlas pourrait permettre de modéliser les fonctions cérébrales, de décrire les circuits neuronaux du langage ou des émotions, de mieux étudier les maladies du cerveau. Ou encore, de déterminer plus précisément où implanter des électrodes de stimulation cérébrale profonde utilisée dans certaines interventions neurochirurgicales, notamment pour traiter les tremblements parkinsoniens.
Pour voir une video de BigBrain, cliquer sur le lien: http://www.youtube.com/watch?v=nJpFvQ0YZLk
BigBrain, dont la description vient d’être publié dans Science, a demandé dix ans de travail à une équipes de chercheurs allemands et canadiens dirigée par Katrin Amunts et Alan Evans. Il offre une résolution de 20 microns (millièmes de millimètres), moins que le diamètre d’un cheveu, et cela dans les trois dimensions de l’espace. Les cartes les plus détaillées dont on disposait jusqu’ici, basées sur l’imagerie par résonance magnétique (IRM), ont une résolution de l’ordre du millimètre. BigBrain permet donc d’accéder à des détails 50 fois plus petits que l’IRM dans chacune des trois dimensions, et 125 000 fois plus petits en volume (50x50x50).
Si l’on n’en est pas encore à distinguer individuellement chacun des quelque 86 milliards de neurones de notre cerveau, BigBrain permet d’accéder au niveau des couches du cortex et des microcircuits neuronaux, ce qui était impossible avec les cartes dérivées de l’IRM. Pour atteindre ce degré de détail, Katrin Amunts et ses collègues ont réalisé un véritable tour de force technique. Ils sont partis du cerveau d’une femme de 65 ans, morte sans pathologie cérébrale. Le cerveau a été scanné par IRM, puis fixé et inclus dans de la paraffine.
« Ensuite, le cerveau a été découpé avec un microtome (scalpel miniaturisé) en plus de 7400 tranches explique Katrin Amunts à Science. En faisant ce découpage, nous avons pris une image de chaque face du cerveau inclus dans la paraffine, afin d’avoir une référence sans distorsion. Touses les tranches ont été montées sur des lames de microscope larges et colorées pour faire apparaître les cellules. Les tranches colorées ont ensuite été scannées et les images ont été utilisées pour enlever les artefacts introduits pendant le découpage. »
Il est en effet inévitable qu’au cours du processus se produisent des déformations et des déchirures. Le traitement de chaque lame a demandé 1 000 heures de travail, quasiment en continu. La dernier étape a consisté à assembler les quelque 7400 sections numérisées en les alignant correctement pour reconstituer un modèle en 3D du cerveau entier. Le résultat final est un atlas numérique constitué d’un ensemble de données de 1 téraoctet (mille gigaoctets ou Go).
L’intérêt de cet atlas n’est pas seulement descriptif. Le cerveau est organisé en zones de dimensions variables qui ont des fonctions plus ou moins spécialisées et sont interconnectées de manière complexe. Au XIXème siècle, Paul Broca a jeté les bases de la neuroanatomie fonctionnelle en identifiant une région spécialisée dans le langage (appelée depuis aire de Broca). Aujourd’hui, on connaît le rôle des principales aires fonctionnelles, mais BigBrain permet d’aller un cran plus loin, en entrant dans le détail des circuits neuronaux. « Nous avons besoin de cette carte du cerveau à haute résolution pour pouvoir établir le lien entre les circuits neuronaux à grande échelle d’une part et la circuiterie locale d’autre part », résume Katrin Amunts.
Le nouvel atlas devrait donc aider les scientifiques à distinguer des propriétés beaucoup plus fines du cerveau humain. Cet atlas fait partie d’un programme européen, le European Human Brain Project, d’un montant de 1 million d’euros, qui vise à créer un modèle informatique du cerveau humain d’ici dix ans. Bigbrain est un outil public, accessible aux chercheurs du monde entier sur un site spécialisé (https://bigbrain.loris.ca/main.php) .
L’approche de Karin Amunts et Alan Evans a cependant ses limites : un atlas construit à partir d’un seul cerveau ne rend pas compte de la variabilité considérable qui existe d’un individu à l’autre. Katrin Amunts projette de réaliser de nouveaux atlas à partir d’un cerveau masculin et de celui d’une personne plus jeune, afin de pouvoir observer les différences en fonction du sexe et du dévelooppement. Après avoir réalisé la première carte, les chercheurs vont sans doute rendre le processus plus aisé et plus rapide, et on pourrait imaginer de multiplier les atlas du cerveau en ciblant des groupes particuliers. On peut ainsi imaginer d’étudier au niveau microscopique les cerveaux de personnes atteintes d’un trouble particulier, par exemple l’autisme.