La fin du monde n’est pas pour tout de suite, mais celle des coraux est pour demain : selon l’équipe du géochimiste Ken Caldeira (Carnegie Institution, Palo Alto, Californie), presque tous les récifs coralliens de la planète pouraient être détruits d’ici 2100, si les émissions de dioxyde de carbone continuent au rythme actuel.
Cette conclusion pessimiste, exposée dans la revue Science, résulte d’une nouvelle analyse effectuée sur les résultats de simulations produites par treize équipes différentes dans le monde. Le facteur clé de la survie des coraux est l’acidité des océans. Lorsque le gaz carbonique (CO2) se dissout dans l’eau, il se forme de l’acide carbonique (H2CO3). On estime que depuis le début de la révolution industrielle, le pH moyen en surface des océans est passé de 8,25 à 8,14, soit une baisse de 0,1 (lorsque le pH diminue, l’acidité augmente ; le pH neutre étant égal à 7, les océans sont encore alcalins, mais de moinsen moins).
Cette acidification progressive a déjà abîmé certains récifs coralliens et a affecté la reproduction des mollusques bivalves (moules, huîtres, etc). Pour pronostiquer l’évolution à venir des coraux, Caldeira et ses collègues se sont appuyés sur une nouvelle génération de modèles qui permet de simuler les interactions chimiques entre l’océan et une atmosphère plus riche en gaz carbonique.
Grâce à cette méthode de « biogéochimie active », les chercheurs ont pu déterminer un paramètre crucial pour l’avenir des coraux : la quantité d’aragonite disponible dans l’eau. L’aragonite est un carbonate de calcium qui est le constituant principal de la partie dure (exosquelette) du corail. La quantité d’aragonite disponible se mesure par un taux de saturation qui est en général compris entre 3 et 3,5.
Mais à mesure que l’eau des océans devient plus acide, des réactions chimiques font que le taux de saturation de l’aragonite diminue. Selon l’équipe de la Carnegie Institution, avant l’époque industrielle, le taux était au-dessus de 3,5. Les chercheurs ont mis en relation les résultats des modèles avec les emplacements de 6000 récifs de corails, soit environ les deux-tiers des coraux de la planète. Ils ont ainsi pu réaliser une analyse chimique prospective de l’habitat futur des coraux.
Les conclusions ne sont pas optimistes : pour maintenir le taux de saturation de l’aragonite au-dessus de 3, ce qui permettrait de sauver la majorité des coraux, il faudrait réduire très sévèrement les émissions de CO2 et même retirer le gaz carbonique de l’atmosphère avec des dispositifs de recapture.
Mais dans le scénario plus probable où les émissions continuent au rythme actuel, « les récifs sont cuits », avertit Caldeira. Selon le géochimiste, l’analyse montre que dans ce scénario « business as usual », tous les récifs seront entourés d’une eau contenant un taux de saturation en aragonite en-dessous de 3. Ce qui veut dire que les coraux n’auront plus assez de carbonate pour former leur exosquelette, et mourront.
Une hypothèse moins pessimiste serait que les coraux réussissent à s’adapter à un régime pauvre en carbonate. Dans ce cas, les récifs ne disparaîtraient pas, mais les coraux les plus vulnérables seraient remplacés par d’autres, capables de se développer malgré la pénurie d’aragonite. Ce serait un moindre mal. Mais les chances d’une telle adaptation en moins d’un siècle sont assez faibles. Plus faibles que celles de voir l’humanité s’adapter à un monde sans coraux.