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Michel de Pracontal

Journaliste scientifique, j'ai travaillé à Science et Vie, à L'Evénement du Jeudi, et au Nouvel Observateur (de 1990 à 2009). Je suis aussi auteur de plusieurs livres dont le dernier, Kaluchua, vient de paraître au Seuil. Sur twitter: @MicheldePrac.

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Billet de blog 24 mai 2014

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Samedi-sciences (131): éloge de la politique de l'autruche

Autruche, casoar, émeu, kiwi, nandou : ces grands oiseaux à l'allure pataude et inaptes au vol ont souvent été ridiculisés pour leur apparente inadaptation. En voyant courir une autruche, aussi grâcieuse qu’un balai à poussière avec deux manches, les mauvaises langues sont tentées d’évoquer un raté de l’évolution.

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Illustration 1
Nandou d'Amérique © DR

Autruche, casoar, émeu, kiwi, nandou : ces grands oiseaux à l'allure pataude et inaptes au vol ont souvent été ridiculisés pour leur apparente inadaptation. En voyant courir une autruche, aussi grâcieuse qu’un balai à poussière avec deux manches, les mauvaises langues sont tentées d’évoquer un raté de l’évolution. N’appelle-t-on pas « ratites » ce groupe de pseudo-oiseaux terrestres qui arpentent les plaines sur leurs longues pattes, incapables de décoller ?

Mais les mauvaises langues ont tort. « Ratite » dérive du latin ratis, radeau, et vient de ce que ces oiseaux ont un sternum plat, sans bréchet permettant aux ailes de s’ancrer. De ce fait, leurs ailes sont atrophiées, sinon absentes, mais ils sont en revanche bien adaptés à la course. De plus, si l’on en croit les dernières recherches, ce pourrait être par opportunisme que les ratites ont perdu le vol.

Selon les travaux de l’équipe australienne de Kieren Mitchell, de l’université d’Adelaide, les ancêtres directs des ratites volaient, mais ils ont atterri dans de nouveaux territoires où ils se sont épanouis au sol, en l’absence de mammifères prédateurs. En fait, les ratites ont prospéré tant qu’ils n’ont pas été attaqués par l’homme. Neuf espèces de moas étaient endémiques en Nouvelle-Zélande, mais ont été balayées, en grande partie par la chasse. A Madagascar, les oiseaux-éléphants, les plus gros oiseaux qui aient arpenté la planète, et qui pouvaient approcher les 400 kilos, ont aussi disparu, et l’on suspecte que l’homme n’y est pas pour rien.

Si l’on a longtemps considéré les ratites comme une bizarrerie évolutive, c’est que l’on privilégiait l’hypothèse selon laquelle ces gros oiseaux avaient évolué par suite d’un isolement géographique : l’Australie, l’Afrique et l’Amérique du sud faisaient partie, il y a 200 millions d’années, d’un même supercontinent appelé Gondwana. D’où l’hypothèse que tous les ratites descendaient d’un ancêtre commun qui lui-même avait déjà perdu le vol, et qu’après la fragmentation du Gondwana, les différentes espèces ont continué d’évoluer chacune de son côté.

Mais en analysant les ADN anciens de deux oiseaux-éléphants fossiles de Madagascar, Mitchell et ses collègues ont découvert qu’ils étaient proches des kiwis de Nouvelle-Zélande, mais éloignés des autruches africaines (cette recherche est publiée dans Science du 23 mai). Ce résultat inattendu suggère que l’évolution des ratites ne s’est pas faite à partir d’un ascendant unique implanté au Gondwana. A l’opposé, les grands groupes de ratites auraient évolué séparément, après la dispersion de leurs ancêtres qui volaient. Autrement dit, la perte du vol et l’augmentation de la taille se serait  produite à plusieurs reprises dans des lieux différents, par un processus de « convergence » et non par une évolution unique.

Illustration 2
Reconstitution d'un moa (1907) © George Edward Lodge

Une autre étude génétique toute récente, menée par Oliver Haddrath, du Musée Royal de l’Ontario, confirme cette hypothèse car elle montre que certains des ratites sont très proches des tinamous, qui eux peuvent voler. De plus, selon Mitchell, les ancêtres sud-américains des casoars étaient déjà grands et dépourvus d’aptitude au vol lorsque la lignée des tinamous est apparus.

En résumé, si les ratites sont devenus de gros oiseaux terrestres, inaptes au vol mais doués pour la marche et la course, ce n’est pas parce qu’ils ont hérité d’un ratage de l’évolution, mais par opportunisme : ils se sont installés sur des îles où ils ont exploité la niche écologique des grands herbivores diurnes, abandonnée après la disparition des dinosaures, et ont prospéré dans la mesure où ils n’ont pas rencontré de prédateurs. En fait, la politique (évolutive) de l’autruche s’est révélée une stratégie gagnante tant que l’homme n’est pas venu la mettre en échec.